Fiction française

 

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Claude Pujade-Renaud, Les Femmes du braconnier (Actes Sud)

Dans l'Angleterre contemporaine, un homme et deux femmes sont entraînés dans une histoire d'amour tumultueuse et fatale. Or, tous trois sont poètes et vivent leur commune existence avec une intensité d'autant plus forte que cette vie partagée est constamment l'objet de traductions écrites. Les déchirements entre les trois êtres s'accroissent encore de ce qu'ils sont d'origines nationales différentes, ont des rapports divers à la vie sensible et manifestent des exigences extrêmes envers eux-mêmes et envers autrui. La trajectoire du trio aboutira à des issues tragiques, démarquées par Claude Pujade-Renaud des biographies de Sylvia Plath, poétesse américaine, et de Ted Hughes, poète britannique. Un roman de grande tenue. (Jacques Dubois)

 

 

 

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Eugène Savitzkaya, Marin mon cœur (Éd. Minuit)

Savitzkaya fait partie de ces génies dont on ne peut se défaire une fois qu'ils nous ont été révélés, mais qui demandent une sorte d'initiation douce, nécessité à laquelle répond parfaitement le présent texte choisi parmi la série des romans poétiques publiés chez Minuit depuis les années septante (de Mentir en 1977 à Fou trop poli en 2005). Marin mon cœur est l'histoire de l'arrivée du Nain dans la vie du Géant, de l'apprivoisement réciproque du père et de son enfant, des découvertes de l'un qui sont autant l'apprentissage de l'autre. Mais Marin mon cœur ne se résume pas, il s'écoute comme un chant :

« La première fois que je le vis, il n'avait pas encore expiré, il était pâle et bleu comme après un effort surhumain, une grande frayeur ou un chagrin ; il serrait dans les poings, malgré sa fatigue, la moiteur vitale ; il avait l'étrangeté de l'axolotl en dépit de sa forme indéniablement familière. On me dit qu'il avait résolument, pour se frayer un passage vers la lumière, refusé de regarder vers le sol, que, résolument, il avait renversé sa tête en direction de la lumière elle-même, vers le ciel. Quelques secondes après il expirait, c'est-à-dire qu'il faisait de la place dans son corps pour accueillir l'air souverain. (p. 13) ». (Sarah Sindaco)

Voir l'article : Entretien avec Eugène Savitzkaya

 

 

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Victor Segalen, René Leys (Folio classique)

Bien sûr, il y a Proust, Lolita et Ada, La Chartreuse de Parme, et Belle du seigneur. Mais ce court roman est mon préféré, le plus relu. Pourquoi ?

1) Nombreux sont les romans qui prennent la forme d'un journal intime où un narrateur est censé rapporter l'action au fil des événements, en temps réel ; mais ici, cela ne sonne pas faux, le procédé est transparent, l'illusion est parfaite : du grand art stylistique !

2) C'est l'histoire d'un désir : le narrateur cherche à connaître l'intérieur du palais impérial de Pékin ; il est près à tout pour cela, et surtout à tout croire. Or le cœur de l'entreprise littéraire et vitale de Segalen, et de sa conception de l'exotisme, fut l'étude de la confrontation du désir avec le réel ; ce roman réalise le versant fictionnel (mais à base autobiographique) de cette démarche, la part réflexive revenant au superbe récit méditatif Équipée.

3) La relation qui s'instaure entre le narrateur et le jeune René Leys, son professeur de chinois qui lui révèle progressivement les rites et secrets du palais, constitue une intrigue romanesque originale et intense. Le lecteur adhère au personnage, le narrateur, dans son avidité face aux révélations progressives de René Leys. C'est un livre qu'il faut lire au moins deux fois : une fois pour atteindre et vivre sa fin en toute naïveté, une seconde fois pour comprendre par quels moyens l'auteur nous a menés là. Au point que l'on a pu y voir une parodie de roman policier !

4) La leçon du roman est profonde : elle prône la primauté de l'amitié et de la confiance sur la vérité et la raison et pose la question de la responsabilité personnelle. (Gérald Purnelle)

 

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Claude Simon, L'acacia, (Éd. Minuit), ou bien La route des Flandres (Éd. Minuit)

Parce que les phrases de Claude Simon sont très longues, on croit parfois que c'est un auteur compliqué. C'est tout l'inverse. Claude Simon rend la lecture très facile ; c'est s'en défaire qui devient difficile. S'il y a peu de points, c'est pour raccourcir la phrase et lui faire perdre sa fonction d'unité de base du roman : celle qui « donne le ton ». Car y répond une surabondance de virgules et de parenthèses. Le rythme de la lecture en est transformé. Il n'est plus dépendant du temps pris pour lire les phrases, déterminé par leur construction propre. Il est donné d'un coup, comme le pouls complexe du roman. C'est comme si Claude Simon écrivait par taches, groupes de mots et groupes de phrases, plutôt que par lignes progressives.

On est pris dans le roman comme dans un labyrinthe souterrain, où les différentes galeries se croisent et se recroisent, à la fois directement et indirectement, selon un système d'échos. La guerre de 14, la drôle de guerre, le début du siècle, les années 1930, les déplacements d'un village à l'autre, d'un bout à l'autre de la France, d'un bout à l'autre de l'Europe, des colonies à la métropole, les passages d'une classe sociale à une autre, bref : Claude Simon nous place toujours dans ces entre-deux où se répètent les événements de l'histoire, jusqu'aux plus ténus, et les différentes manières d'exister qui composent une vie. Avec pour point d'articulation, comme souvent chez Simon, cette limite où tout menace de s'abolir, la violence, humaine ou naturelle, et la guerre. L'acacia ou un autre : on ne lit plus pareil après Claude Simon. (Antoine Janvier)

 

 

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