
Céline, Mort à crédit (Folio)
Céline est, à mon avis, pour moi le plus grand auteur qui ait jamais existé. Dans Mort à crédit, il dresse le portrait de son époque en évoquant son enfance et son adolescence.
Le titre n'a pas été choisi au hasard. En effet, le fil conducteur de ce roman est la mort. Selon Céline, la seule vérité que l'homme ait dans sa vie est qu'il finira par mourir un jour. Chacun tendrait, en quelque sorte, vers sa propre mort.
Je recommande cet auteur pour son style vraiment unique. Il défend l'idée que l'on peut trouver des histoires n'importe où. Peu importe ce que l'on raconte, l'important réside dans la manière de le transmettre. Céline remanie sans cesse ses mots. Ses manuscrits sont magnifiques car un mot se retrouve soudain barré et remplacé par un autre, lui-même raturé et remplacé à son tour. Et tout cela aboutit à une sorte de petite musique, de poésie.

Maxime Chattam, Le cinquième règne (Pocket)
Un premier roman de l'auteur Maxime Chattam (publié sous le pseudonyme de Maxim Williams) à la lecture légère, mais aussi passionnante que terrifiante. À Edgecombe, petite ville paisible de Nouvelle-Angleterre, aux longues avenues pouvant supporter les pick-ups rouillés par le sel marin, séparées des trottoirs par une bande de gazon, et où les maisons se ressemblent, toutes de bois peint en blanc. Ambiance banale et sans cesse ressassée sous toutes ses déclinaisons dans bon nombre de films et de romans. Seule ombre au tableau, cette usine désaffectée au fond d'un terrain vague où les enfants jouent et où certains disparaissent. Ces mêmes jeunes enfants qui, au détour d'une fouille de grenier, mettront la main sur un grimoire de magie. Ils y apprennent notamment à communiquer avec les esprits et tentent de les invoquer. Mais cette intrusion dans l'autre monde révèle à qui sait y accéder la position de ce grimoire recherché depuis des siècles. Ils se trouveront dès lors propulsés au milieu d'une guerre manichéenne millénaire entre deux confréries. Une course poursuite passionnante, montée en alternance avec une enquête policière recherchant un serial killer, caché dans l'usine, aux labyrinthes plongés dans l'obscurité. Un homme déchu, sans plus aucune humanité, au regard vitreux. Un être autrefois plongé dans le règne animal par la fulgurance et la force du grimoire, et qui, tel un « Gollum » de Tolkien, n'a de cesse d'errer au fil des années à la recherche du précieux livre.
Le cinquième règne nous replonge dans notre imagination d'enfant, où une chemise mal rangée endosse, une fois la nuit tombée, les plus noires apparences spectrales. (Philippe Lecrenier)

Éric Chevillard, Démolir Nisard, (Éd. Minuit)
Les écrivains ont leurs obsessions et leurs têtes de Turc. Baudelaire voulait se faire Villemain ; Chevillard règle son compte au critique littéraire anti-romantique Désiré Nisard (1806-1888), qui fut aussi attaché au ministère de l'Instruction publique. Un condensé de conservatisme esthétique et d'idéologie tiède. Affaire du XIXe siècle ? Loin de là. C'est à tous les Nisard – y compris au petit Nisard qui sommeille en chacun de nous – que Chevillard fait la peau, dans une écriture qui rappelle par moments Lautréamont. Éclats de rire irrépressible sur fond d'inquiétude et de malaise. Chevillard, c'est du sanglant. (Pascal Durand)



Mme de La Fayette, La Princesse de Clèves (Folio classique, Livre de Poche, Garnier Flammarion...)
Lorsque l'idéologie en sabots prend pour cible un livre, c'est ce livre qu'il faut lire ou relire sans tarder. Un roman du grand siècle comme antidote à l'arrogante bêtise des nabots de toute sorte qui prétendent nous gouverner ? Oui. (Pascal Durand)

Jean Genet, Le Journal du voleur (Folio)
Livre coup de poing, le texte de Genet explose les conventions du roman, en même temps que les fondements de l'éthique occidentale. Une telle lecture chamboule, bouleverse, et surtout oblige à reconsidérer nos schémas de pensée, ce qui constitue, me semble-t-il, la force et la valeur de la littérature même. Mêlant argot, violence et obscénité avec préciosité, puissance lyrique, amour et attendrissement, Genet développe une esthétique contrastée où trônent à la fois le misérabilisme et le grandiose. Sa toile de fond, composée de vagabondages, relations homosexuelles, vols, fascination pour le meurtre doit se comprendre par rapport à la dimension de souveraineté et de sacre qu'il souhaite donner à son existence, malgré et à travers son statut de paria, mais aussi par rapport à la tendresse et la beauté qu'il recherche. C'est justement la perfection du langage littéraire et les tours de force narratifs qui permettent au lecteur de ne pas y voir uniquement un être abject. Ce bouquin gagne à être lu car il repousse nos représentations traditionnelles, et oblige à interroger le langage, et le monde qu'il exprime, qu'il soit dur ou tendre. (Thomas Vandormael)