Quarto

En créant il y a quelques années Quarto, Gallimard a remplacé Biblos, une collection qui n'était pas parvenue à trouver son public, par de très beaux ouvrages riches d'une dimension biographique et parfois critique extrêmement intéressante. A ce titre, les Duras, Tardieu, René Char, Desnos ou Artaud sont exemplaires.

Ces derniers mois, l'éditeur qui fêtera l'an prochain son centenaire a accordé une belle place aux courts textes. De Nicolas Gogol, on connaît surtout les nouvelles – magnifiques – de Saint-Pétersbourg (La Perspective Nevski, Le Nez, Le Manteau, Le Journal d'un fou). En voici d'autres qui lui sont antérieures (ukrainiennes, dont Taras Boulba) et postérieures (romaines). Mais, surtout, ce volume édité par Michel Niqueux se termine par un long dossier consacré à l'écrivain russe, avec notamment son testament (écrit en 1845), des textes sur Saint-Pétersbourg (de Balzac, Dostoïevski, Gautier) ou sur l'intéressé lui-même écrits par ses contemporains (Sainte-Beuve, Mérimée, Barbey d'Aurevilly...). Ou par Vladimir Nabokov dont, par ailleurs, Quarto édite également les Nouvelles complètes (avec deux inédites en français). Une manière de redécouvrir un immense auteur principalement célébrés pour ses romans.

L'Américaine Flannery O'Connor est morte à 39 ans en 1964. Dans sa préface chaleureuse, Guy Goffette se souvient d'avoir acheté adolescent, sur la foi du seul titre –- Les Braves Gens ne courent pas les rues –, un recueil de nouvelles de cette écrivaine dont il ignorait tout. A travers ses nouvelles (Mon mal vient de plus loin, Pourquoi ces nations en tumulte ?) et ses romans (La Sagesse dans le sang, Et ce sont les violents qui l'emportent), Flannery O'Connor fait revivre la Géorgie où elle est née en 1925 et dont, affaiblie par la maladie, elle ne s'est pratiquement jamais éloignée. Catholique minoritaire dans une région marquée par un fondamentalisme protestant, elle met en scène des personnages brisés sur le chemin de la rédemption. Mais sa véritable personnalité apparait surtout par le biais des textes autobiographique et réflexions diverses ainsi que de sa correspondante qui occupent la dernière partie de l'ouvrage.

Louis Guilloux (1899-1980) fait partie de ces écrivains français du XXe siècle qui n'ont pas la postérité qu'ils méritent (comme Calet, Bove, Forton, Guérin, Gadenne et quelques autres). Excellente idée, donc, de Gallimard, de rassembler quelques un de ses romans dans un volume enrichi d'un long texte autobiographique et de deux plus courts signés Malraux et Camus. Par le filtre d'épisodes vécus, c'est le monde des « petites gens » dont il est issu que ce Breton originaire de Saint-Brieuc ne cesse de mettre en scène dans des récits à forte dimension sociale et politique et portés par une prose puissante et captivante. On peut le constater dans La Maison du peuple, Compagnons, L'Herbe l'oubli et, surtout, dans son chef d'œuvre, Le Sang noir, ample roman publié en 1935. A travers son héros, un professeur de philosophie surnommé Cripure, ancienne gloire locale haïe de tous qui erre une journée de 1917 dans sa ville – évidemment Saint-Brieuc –, l'auteur porte un regard d'une extrême violence sur ce monde-là, celui des bourgeois, des notables, des nantis tandis bien loin de ceux qui crèvent au front. « Ce grand écrivain, écrit Camus, parce qu'il a fait ses classes à l'école de la nécessité, a appris à juger sans embarras ce qu'est un homme. » Il admire et aime une œuvre « qui ne flatte ni ne méprise le peuple dont il parle et qui lui restitue la seule grandeur qu'on ne puisse lui arracher, celle de la vérité. »


De Joseph Kessel, on lit (peut-être) Le Lion, Belle de Jour, L'Armée des Ombres (magnifiquement transposé au cinéma par Melville), L'Equipage ou Les Cavaliers. Le grand mérite de cette édition est de reprendre sous une forme chronologique, outre quelques-uns de ses romans (dont celui sur la Résistance), de nombreux reportages, des reportages très vivants, racontés comme des nouvelles. A travers ses mots, ce sont « les bruits du monde » qu'il fait résonner, précise Gilles Heuré dans sa préface. On retrouve successivement le bourlingueur dans les années 1920 en Irlande, où l'armée clandestine lutte pour son indépendance, en Russie, pays qu'« il ressent intimement, de par ses origines familiales et ses souvenirs d'enfant » et dont il dénonce l'orientation bolchéviste, puis en Palestine sous contrôle britannique mais où se sont développées de nombreuses institutions nationales juives et où immigrent de nombreux juifs de Russie. Il ne cache pas son admiration pour ces hommes venus créer une nouvelle nation tout en rêvant d'une cohabitation pacifique entre les deux peuples. Il est en Allemagne et à New-York au début des années 1930, en Espagne pendant la guerre civile, dans la nasse de Dunkerque en juin 1940. Après guerre, il retourne en Israël où, atterrissant à Haïfa en mai 1948, il reçoit le visa n° 1.
Dashiell Hammett (1894-1961), enfin, le maître incontesté du roman noir (avec Chandler), a droit à une nouvelle traduction de ses cinq romans incontournables : Moisson rouge, Sang maudit, Le Faucon maltais, La Clé de verre et L'Introuvable.