Des poches XXL

Depuis la collection Bouquins inaugurée en 1979 chez Robert Laffont par Guy Schoeller, d'autres éditeurs ont ouvert leurs catalogues à ces gros bouquins à prix modiques tantôt consacrés à un même auteur dont ils reprennent plusieurs titres, tantôt historiques, tantôt thématiques, tantôt géographiques. Les Presses de la Cité ont créé Omnibus ; Gallimard, après l'éphémère Biblos, Quarto ; Actes Sud , Thésaurus ; Flammarion, Mille Pages ; et, récemment, Le Seuil,  Opus.

 

Bouquins

La collection lancée par Guy Schoeller (1915-2001) il y a un peu plus de trente ans et aujourd'hui dirigée par Jean-Luc Barré est donc l'ancêtre de ces épais ouvrages qui offrent une synthèse sur un auteur, une période historique, un pays, un genre littéraire, un art ou tout autre sujet.

sanantonio

L'événement de ce printemps est la réédition des œuvres complètes de San Antonio à l'occasion des dix ans de la mort de Frédéric Dard, considéré comme le romancier français le plus lu de la seconde moitié du 20e siècle. De cette édition chronologique, paraissent simultanément les quatre premiers volumes réunissant une quarantaine de titres (sur les 175 parus entre 1949 et 1999) qui couvrent les dix premières années de publication, de Réglez-lui son compte ! à J'suis comme ça !, en passant par Passez-moi la Joconde, J'ai bien l'honneur... de vous buter, Au suivant de ces messieurs ou En long, en large et en travers. Ce qui, au départ, apparaissait comme une parodie des romans de la Série Noire a progressivement acquis une dimension sociologique renforcée par la richesse de sa prose. C'est François Rivière, scénariste BD, romancier, biographe (JM Barrie, Agatha Christie, Enid Blyton, Patricia Highsmith), traducteur et spécialiste de littérature policière, qui en assure les préfaces spécifiques à chaque tome. « Une invention langagière sans véritable précédent, que d'encombrants éloges n'ont jamais réussi à faire trébucher, a permis l'édification patiente, obstinée, d'une œuvre sans pareille, forêt profonde où s'ébattent les créatures goguenardes de l'auteur... »,  note-t-il en introduction de sa biographie de Frédéric Dard justement rééditée chez Pocket.

leroux

Sous l'égide d'un autre grand défenseur de la littérature de genre, aussi appelée « populaire », Francis Lacassin, Bouquins réédite un volume consacré à l'un des pères de la littérature policière française, créateur de Rouletabille et de Chéri-Bibi, Gaston Leroux (1868-1927). Sont ici réunis, sous le titre Les Assassins fantômes, quatre romans moins connus de l'auteur du Fantôme de l'Opéra publiés entre 1909 et 1921. À chaque fois, remarque Lacassin, les « génies malfaisants » de ces intrigues sont « des assassins introuvables, incroyables, indiscernables, comme doués d'invisibilité et d'ubiquité ». Le bien nommé Fauteuil hanté (1909) a pour cadre l'Académie française dont les postulants au statut d'Immortel, via un siège désespérément vacant, passent mystérieusement de vie à trépas. Publié au milieu de la Grande Guerre, La Colonne infernale fait de son auteur le pionnier du roman d'espionnage. Dans ce roman, la colonne du titre a pour mission d'anéantir, dans la région de Nancy, les initiatives allemandes. « Inéluctablement, écrit le préfacier, les romanciers populaires allaient imiter les romanciers bourgeois, le cinéma, la bande dessinée, et prendre part à la guerre psychologique destinée à faire gagner la guerre tout court  en persuadant le public que, la France défendant la justice et le bon droit, sa victoire était inéluctable. » Respectivement parus en 1920 et 1921, Tue-la-Mort et Le Sept de trèfle sont deux cinéromans en douze épisodes produits par la Société des cinéromans achetée deux ans auparavant par Gaston Leroux et devenus ensuite des livres. Exclusivement vouée à la production de films  à épisodes, cette société a empêché le roman-feuilleton de mourir en 1914. L'action du premier se situe dans les Alpes autour d'une auberge théâtre de mystérieux événements, celle du second en France et en Italie dans les pas d'un peintre victime de sa passion pour le jeu.

christie

Tant que nous sommes dans la littérature policière, il faut signaler deux parutions dans d'autres collections. Le Masque poursuit la réédition de l'Intégrale d'Agatha Christie (1890-1976), dont il est l'éditeur historique, avec le second tome des enquêtes de son plus célèbre héros, Hercule Poirot.

jonquet

Ce volume, dont Jacques Baudou assure les postfaces, réunit cinq romans parus entre 1928 et 1935 : Le Train Bleu, que l'auteure considérait comme son plus mauvais livre (« banal, plein de clichés, avec une intrigue sans intérêt »), La Maison du péril, qu'elle avouait ne plus se souvenir de « l'avoir écrit », Le Couteau sur la nuque, où l'on voit Poiret s'intéresser à la disparition des chaussures d'un ambassadeur, le célébrissime Crime de l'Orient-Express, l'une des plus ingénieuses déductions du détective  belge, et Drame en trois actes, conçu et découpé comme une pièce de théâtre. (Le Masque)

Situé à l'autre extrémité du genre policier, Thierry Jonquet, disparu l'an dernier à 56 ans, est considéré comme l'un des maîtres du roman noir français. Pour le prouver, voici réunies quatre de ses œuvres majeures, Les orpailleurs (1993), Moloch (1998), Mygale (1984) et La Bête et la Belle (1985). Dans sa préface, Martine Laval insiste sur « le rideau de tendresse » que toujours, dans ses romans « d'une noirceur éblouissante », Jonquet ouvre « contre l'immonde, l'inimaginable ». Pour elle, la colère, la résistance et l'espérance caractérisent cette œuvre qui, sans manichéisme ni angélisme, bataille « contre la cécité généralisée ».

 

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