L'été en poches

Témoignages/Documents

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Jean-Louis Fournier, Où on va papa ?

Réputé pour son humour décalé, même lorsqu'il s'agit de sujets graves, l'auteur d'Il a jamais tué personne mon papa ou d'À ma dernière cigarette parle sur le même ton de ses garçons handicapés profonds nés à deux ans d'intervalle. En voiture, ils ne cessaient de demander « Où on va papa ? », parfois cent fois sur un seul trajet, devenant ainsi, écrit leur père, les « rois du running gag ». Mais au moins ont-ils évité à leurs parents d'avoir à leur choisir une filière scolaire. Rire pour ne pas pleurer. Ou bien rire et pleurer à la fois. En risquant de choquer ? « Choquer, c'est formidable, c'est ranimer des morts mentales. Quelqu'un qui a un grand malheur doit toujours avoir l'air triste. Mais il peut aussi rire », répond Fournier. L'aîné est mort suite à une opération et le cadet réside dans un centre. « Quand on est confronté au chaos que provoque ce drame, on essaie de parer au plus pressé et, quarante ans après, lorsque la poussière est retombée, on s'offre le luxe de réfléchir. Je n'aurais jamais pu parler d'eux plus tôt. J'aurais dit que je ne pouvais plus les voir, que j'avais envie de les jeter par la fenêtre. Or j'y tenais énormément, je les aimais vraiment. J'ai fait ce livre pour le leur dire. Même s'ils ne le liront pas car celui qui est encore sur terre ne sait pas lire. On est au niveau du symbolique mais pourquoi pas, on fait bien des discours dans les cimetières sur le mec qui vient de mourir. » (Le Livre de Poche)

 

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Bernard Giraudeau, Cher amour

Bernard Giraudeau est devenu un écrivain. Peut-être, aujourd'hui, l'est-il d'ailleurs davantage que comédien. Mais cet ancien marin est d'abord un bourlingueur. Après, notamment, deux recueils de nouvelles nourris de ses voyages en mer, voici son premier roman empreint d'autobiographie et magnifiquement écrit. S'adressant à une certaine Madame T., le réalisateur des Caprices d'un fleuve embarque pour un tour du globe – sur l'Amazone, au Chili, en Mer de Chine, à Djibouti – conté au travers des histoires extraordinaires et des personnages magnifiques. On retrouve aussi le narrateur à Paris, « son port d'attache » où il tourne des films Passion d'amour de Scola –, et arpente des scènes de théâtre – Le Libertin de Diderot, Becket ou l'honneur de dieu d'Anouilh. Jusqu'à ce cancer, évoqué dans le dernier et poignant chapitre, qui l'oblige à « envisager la vie autrement ». (Points)

 

 

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Benoîte Groult, Mon évasion

Née il y a 90 ans, l'auteure du Journal à quatre mains avec sa sœur Flora, de quelques romans (Les Vaisseaux du cœur, La Touche étoile), ou, en 1975, d'un essai, Ainsi soit-elle, qui a libéré bien des femmes, évoque son parcours dans ce livre vivifiant. Elle se souvient d'elle comme d'une « petite fille modèle » puis d'une « jeune fille rangée », en admiration pour sa mère tonitruante, spirituelle. Ce « modèle extraordinaire, inimitable » qui pourtant ne cesse de lui reprocher sa « nullité », son manque de séduction, l'oblige à tenir tous les soirs son journal qu'elle lui lit ensuite sous un flot de critiques parfois acerbes. Elle se sent plus proche de son père avec qui elle apprend le latin et le grec et s'adonne à différents sports. À 29 ans, Benoîte découvre Le Deuxième Sexe sans comprendre que Simone de Beauvoir « s'adresse à nous toutes qui étions soumises au système social et religieux faisant de nous des créatures de deuxième ordre ». Elle raconte aussi son premier mariage avec un jeune homme qu'elle aime mais qui meurt vite. L'échec de son couple avec Georges de Caunes avec qui elle a deux filles après plusieurs avortements et qui déchire ses journaux qu'il considère comme « une activité indécente ». Et enfin ses cinquante-quatre années de vie commune avec l'écrivain Paul Guimard disparu en 2004 et dont elle a une troisième fille. (Le Livre de Poche)

 

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Agnès Humbert, Notre guère

« Le seul remède pour nous est de nous grouper, une dizaine de camarades pas plus », écrit Agnès Humbert le 6 août 1940. Son Journal est exceptionnel car il rend compte, sur le vif, de la création du premier mouvement de résistance français, celui du Musée de l'Homme – qui le paiera très cher –, suivie, en décembre, de la naissance du journal Résistance. Ces pages sont passionnantes. Dans les premiers mois de 1941, plusieurs membres du réseau sont arrêtés et enfermés à la prison du Cherche-Midi avant d'être transférés à la Santé puis à Fresnes. Plusieurs d'entre eux sont condamnés à mort (ils seront fusillés en février 1942 au Mont-Valérien), elle, à cinq ans de prison et est envoyée Allemagne pour travailler dans une filature. Elle sera libérée par les Américains en avril 1945 mais ne rentrera en France qu'en juin. (Points)

 

 

Polars/Thriller

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Xavier-Marie Bonnot, Les âmes sans nom

Auteurs de plusieurs livres chez un petit éditeur marseillais, L'Écailler du Sud, Xavier-Marie Bonnot signe ce captivant polar inscrit dans une réalité historique complexe, le combat mené par l'IRA sous l'ère Thatcher, au milieu des années 1980, et l'accointance de certains de ses membres avec des groupuscules indépendantistes fascisants bretons ou basques. Enquêtant sur la mort d'un agent de la DST dans la Cité de la Sauvagère, au cœur de la Cité phocéenne, Michel De Palma, flic de la brigade criminelle, remonte une piste qui l'amène vers une militante irlandaise retrouvée morte au même endroit vingt ans auparavant. Passant d'une époque à l'autre, Bonnot, par ailleurs auteur d'un documentaire consacré aux processus de paix en Irlande du Nord, signe un livre passionnant. Par l'intrigue elle-même mais surtout par sa dimension historique et idéologique. À côté de militants luttant pour la reconnaissance des leurs, au moment où Bobby Sands meurt en prison, d'autres ont en effet livré des combats aux relents identitaires moins glorieux. (Pocket)

 

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