Éthologie, philosophie, dramaturgie
SMATCH - Photo de Raoul Lhermitte vache

Le Théâtre de la Place vient de dévoiler sa saison prochaine. Parmi les spectacles proposés, figure Smatch[1], une «  soirée composée-performance » écrite et mise en scène par l'artiste liégeoise Dominique Roodthooft avec la collaboration scientifique et dramaturgique de Vinciane Despret, chercheur en philosophie à l'ULg.  « Smatch », qui a déjà été présenté au Kunstenfestivaldesarts à Bruxelles et au Festival IN d'Avignon, connaît une excellente critique.  Rencontre avec Vinciane Despret.

 

Le spectacle est décrit par Dominique Roodthooft elle-même comme « Une sorte de balade à l'intérieur de la philosophie, l'art et la vie en laissant une grande liberté au spectateur de choisir les chemins qu'il désire. En partant d'une anecdote ou d'un événement présent, nous cherchons à inventer une démarche dans laquelle les gens peuvent construire ensemble une pensée, et si possible de façon ludique, en utilisant la stratégie du contre-pied. »1


Vinciane Despret, vous êtes chercheuse en Philosophie des Sciences et spécialisée en éthologie. Quelles sont les circonstances qui vous ont poussée à travailler sur la dramaturgie de ce spectacle avec Dominique Roodthooft ?

SMATCH - Photo de Raoul Lhermitte cheval

Dominique Roodthooft et moi, nous nous connaissons depuis de nombreuses années, nous nous étions cependant perdues de vue pendant longtemps. C'est Dominique qui a repris contact avec moi à la suite d'une idée qu'elle avait eue en visitant l'exposition « Bêtes et Hommes » à Paris, à laquelle j'avais beaucoup travaillé.

Jusque là, j'étais philosophe des sciences et cela faisait une quinzaine d'années que j'essayais de trouver un moyen d'appliquer la philosophie des sciences à l'éthologie de manière pertinente. Bruno Latour, philosophe français, avait dit : « Si vous voulez faire de la philosophie des sciences, il est temps d'aller dans les labos, de ne plus simplement lire ce que les scientifiques écrivent qu'ils font mais aller dans les laboratoires pour y faire de l'anthropologie des sciences. » Ainsi, lorsque j'ai été rattachée au département de Philosophie, j'ai décidé d'aller observer les éthologues dans leur travail. J'ai donc, pendant plusieurs années, étudié les rapports entre les hommes et les animaux directement sur le terrain. C'est ainsi que lorsque la Villette a décidé de faire une exposition sur les animaux, les organisateurs m'ont  demandé, dans un premier temps,  d'écrire un scénario pour l'exposition, puis d'en être commissaire scientifique. C'était un boulot énorme mais aussi très agréable, parce qu'il me permettait de sortir du carcan universitaire et d'utiliser tout ce que j'avais fait dans ma carrière scientifique à d'autres fins. Et c'est ici que Dominique est entrée en scène. Elle a vu l'exposition, l'a adorée et a décidé d'en faire un spectacle qui mette en scène notre relation aux animaux.

 

Quelles démarches artistiques avez-vous  suivies pour construire le spectacle ?

SMATCH - Photo de Raoul Lhermitte delmotte

Dominique Roodthooft voulait partir d'une carte de Belgique, qui avait été réalisée dans la partie flamande du pays, et qui montrait les différents lieux culturels de Belgique. La Wallonie  était présentée comme un vaste désert. En quoi cette carte pouvait-elle concerner les animaux ? Cette interrogation a été le début de notre réflexion. Nous avons imaginé ce qu'auraient pu répondre nos cochons wallons face à cette espèce de désert qui remplaçait la Wallonie. Nous avons commencé à élaborer des situations qui mettaient en scène  notre rapport aux animaux. Dominique m'interrogeait, puis nous créions des saynètes à partir des morceaux d'interviews que j'avais données. Nous avons travaillé à partir de différentes thématiques : que signifie « bien connaître les animaux » ? Quand deviennent-ils intéressants ? Quand les relations entre animaux et hommes sont-elles bonnes ? Etc.

Nous avons donc construit le spectacle autour de plusieurs axes : des vignettes, des morceaux de textes que Dominique Roodthooft lisait, des performances. Smatch contient par exemple plusieurs performances savoureuses de Messieurs Delmotte comme celle où il se mange lui-même parce qu'il est couvert de jambon, ou lorsqu'il imite le merle en faisant une espèce de Karaoké pour merles.

Par ailleurs, il a été décidé que chaque séquence serait ponctuée par la diffusion d'une interview scientifique sur un thème bien précis. Les thèmes étant désignés par les 5 lettres du titre. Et c'est là que ma place, à l'intérieur même du spectacle, a pris de l'importance puisque dans les vidéos, Dominique me lance un mot et je parle de ce mot pendant 3 ou 4 minutes.

Ce qui, selon moi, est particulièrement bien réussi dans le spectacle, c'est son fil conducteur. On ne peut dire exactement si ce fil conducteur est composé des performances ou des interviews mais l'agencement des saynètes et des vidéos offre un réel équilibre.  


 

1 Voir des extraits du spectacle sur le site http://www.lecorridor.be/Sp-smatch.php

 

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