Liège au 12e siècle : beaucoup de pierres, peu de vie

Que serait une ville sans ses habitants ? Quand l'idée est exploitée au cinéma, en littérature, en BD ou dans les jeux vidéos, c'est pour entraîner le personnage central dans une quête solitaire, terrifiante, où l'homme, seul face à la nature et à la ville fantôme, voit des dangers et des ennemis partout. Sans doute est-ce de là que m'est venu le sentiment de solitude et de détresse qui m'a gagné tandis que j'explorais la Cité Ardente au 12e siècle, sur mon PC au moyen du logiciel proposé par l'asbl HistArt.

Alors que je rêvais depuis des années de voir un jour la ville de Liège reconstituée virtuellement par la magie des technologies de dessin en 3D, l'expérience concrète m'a déçu au premier abord. La visite libre de la ville, en vue subjective, est réduite à une déambulation très guidée entre des bâtiments bien rendus, mais dans des rues vides, que la vie semble avoir désertées.  

Peut-être n'aurais-je pas dû brûler les étapes ?

Le DVD interactif propose en effet trois navigations différentes : un préambule historique, d'abord, sorte de cours d'histoire condensé et illustré par des dessins et des images de tapisseries (on découvre le texte sur écran tandis qu'un comédien lit les mêmes phrases à voix haute, à un rythme plus lent que celui de la lecture silencieuse), une visite de la cité proprement dite ensuite, en compagnie de Martin, un jeune gamin qui débarque de Hesbaye pour chanter dans les chœurs d'une des collégiales, et de son oncle Lambert, qui lui sert de guide. À nouveau, cette navigation ressemble plus à un montage dia soigneusement réalisé qu'à une expérience en 3D, les images se succèdent, sur fond de commentaires et de musique. Le contenu est riche et intéressant, les illustrations simples et efficaces mais on est loin d'une immersion multimédia. Enfin, la visite interactive, permet à l'utilisateur d'explorer la ville à sa guise ou presque, en se déplaçant entre les bâtiments.

Sans doute les concepteurs souhaitaient-ils que l'on parcoure les trois types de navigations dans l'ordre, en commençant par le préambule, pour finir par la visite en solitaire, en partant du simple texte sur écran sommairement illustré pour aboutir au déplacement in situ.  

Comme bien des utilisateurs, j'imagine, je n'ai pas pu m'empêcher de sauter tout de suite à la partie interactive et, là, j'ai été surpris de découvrir de très belles images de synthèse, où figurent les principaux édifices de l'époque (les murailles et les portes, les églises dans tous les coins et quelques bâtiments civils) mais presque aucune trace d'activité humaine ! Comme si la vie dans le haut Moyen Âge se résumait à bâtir des basiliques et des remparts. Il manque justement ce qui permettrait de sentir l'époque médiévale : les artères sont vides, on trouve de l'herbe et des gravillons sur le sol, la Meuse et la Légia, un ciel bleu avec quelques nuages au-dessus des toits, les rues sont larges et lumineuses - alors que le commentaire dit qu'elles sont sombres et étroites -, on n'y croise ni animaux, ni échoppes ni marchands ambulants... Liège au 12e  siècle ressemble à un décor désert, entretenu comme un terrain de golf. Question ambiance, on reste sur sa faim.

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J'ai passé pas mal de temps à explorer la ville d'un bout à l'autre. Il m'a fallu de la patience car la navigation n'est pas facile : aux carrefours, on peut choisir la direction, mais les carrefours sont rares, la plupart du temps, on n'a guère d'autre choix que d'avancer tout droit en cliquant sur la flèche (qui change de place à chaque image, pour compliquer la tâche déjà répétitive), impossible de revenir en arrière (pour faire demi-tour, il faut dénicher un cul-de-sac !), impossible de tourner la tête vers la gauche ou la droite pour regarder le paysage sous un autre point de vue. Ces limitations sont purement techniques, elles sont liées au budget de réalisation, mais elles empêcheront certainement le DVD de toucher le public qu'il vise, à savoir les plus jeunes, habitués à se déplacer sans effort dans des univers 3D où les choix semblent infinis et la liberté totale. Quand on passe devant un lieu d'intérêt, une petite musique et une enseigne annoncent qu'on peut en apprendre un peu plus : écouter la présentation du lieu, du métier, parfois une anecdote. Le personnage de Lambert peut lui aussi apparaître au bas de l'écran, pour aider le visiteur à repérer en quel point de la ville actuelle il se trouve. Enfin, une carte de la cité permet au visiteur de se rendre directement dans un des points d'intérêt qu'il a déjà visités. Cet outil assouplit un peu la circulation, mais il n'est accessible qu'à certains endroits de la cité, ce qui complique les choses. 

Si l'on peut féliciter l'asbl pour son travail de documentation, de scénarisation et de mise en forme du contenu (les voix des narrateurs sont agréables à écouter, les saynètes illustrées par de fausses tapisseries sont d'une limpidité parfaite et la modélisation de la ville en 3D d'une belle facture), on doit en revanche déplorer les écueils techniques multiples qui rendent tout ce travail bien fastidieux à utiliser. Le système de sauvegarde, dans la visite guidée, ne fonctionne pas : il oblige l'utilisateur à reprendre sa visite au début à chaque fois, alors qu'il est impossible d'accélérer la lecture ou de sauter vers l'avant ! Je ne suis jamais parvenu jusqu'au bout cette section, j'ai chaque fois dû arrêter avant d'arriver au bout. Impossible d'ailleurs de deviner combien de temps dure cette visite qu'on ne peut interrompre... l'information ne figure nulle part.

Tous ces détails auraient sans doute pu trouver une solution si le CD-Rom avait été testé et rôdé plus longtemps, avant d'être proposé au public. Il ratera en partie ses objectifs car, au lieu de séduire les plus jeunes, qui le trouveront mal réalisé, il plaira aux utilisateurs plus passifs, qui regarderont les deux premières sections comme ils écouteraient des conférences soigneusement illustrées. Ce n'est déjà pas si mal.

Pour terminer la visite, le DVD comporte encore un quizz pour tester les connaissances en fin de cours, selon quatre thématiques. Je n'ai réussi qu'à débloquer la première et, c'est rassurant, j'ai répondu correctement à toutes les questions, alors que je ne connaissais pas grand chose à cette période de l'histoire avant d'installer le CD-Rom. C'est sans doute la meilleure preuve que les aspects didactiques sont parfaitement réussis.

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Une ultime remarque enfin, comme dans tout ce travail la ville est réduite à ses édifices religieux et que les anecdotes sont elles aussi tirées des annales de l'Église ou des histoires de saints, on a l'impression que la Cité Ardente, à l'époque, ne vivait que par la religion et qu'elle seule mérite d'être racontée aujourd'hui. La vie quotidienne, les métiers et techniques ne sont abordés que de façon sommaire et parcellaire. On voit notamment sur la place du marché une estrade où les justiciables devaient être soumis aux quolibets. Mais aucun commentaire ne vient accompagner l'objet, pourtant aussi intriguant qu'imposant. Plutôt que de s'attarder sur la hiérarchie du personnel des collégiales et des basiliques, n'aurait-on pas pu s'intéresser aussi à la justice, à la politique, à la nourriture de l'époque ou à la métallurgie, juste illustrée par une image de forge, alors qu'il y aurait tant à en dire pour éclairer l'histoire de la ville ?

Nicolas Ancion
Mars 2010

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Nicolas Ancion, écrivain et journaliste, est l'auteur de Retrouver ses facultés (aux éditions de l'Université de Liège). Il nous livrait également sa version de la définition de culture il y a quelques mois...