
Pippo Delbono fera découvrir son travail avec l'acteur et son approche particulière du corps, ligne de force de son geste créateur :
« Le théâtre, d'ailleurs, c'est de l'action : même être immobile, c'est être en action. Dans l'immobilité, on est en mouvement et c'est une des choses que t'apprend le travail sur le corps1 ».
Lieu de souffrance ou objet d'amour et d'érotisme, le corps est le lieu d'une recherche permanente. Il s'agit pour Pippo Delbono de forger un geste théâtral singulier qui soit le prolongement de son univers intérieur. Les exercices, l'entraînement permanent visent donc à élaborer une esthétique qui soit aussi, en un sens, une philosophie de vie. L'influence du bouddhisme est présente ainsi que la quête d'une beauté qui rejette les lieux communs, les univers connus, et prend en compte les contradictions inhérentes à la vie. C'est pourquoi la tension apparaît comme une dimension importante de ce théâtre. La tension entre des affects opposés, la tension des gestes fondent une dynamique qui ne vise pas à résoudre quoi que ce soit mais à sans cesse provoquer un dépassement. Chez Pippo Delbono, les acteurs sont seuls, ils ne dialoguent pas mais, comme il l'écrit, ils sont les uns à côté des autres.
Le corps, l'énergie, la vitalité au fondement de cette quête rappellent bien sûr les voies ouvertes par Jerzy Grotowski et Eugenio Barba. Pippo Delbono y ajoute une dimension personnelle, celle du corps perçu comme déviant dans une société normée. Les acteurs ne sont pas tous des professionnels. Pippo Delbono a fait des rencontres qui l'ont ébranlé ou qui sont survenues à des moments de profonde remise en cause de sa manière de vivre et de faire du théâtre. Comme Bobo, microcéphale et sourd-muet :
« On dit que Bobo a attendu très longtemps, presque soixante ans, pour trouver son lieu. Mais il y a des gens qui ne le trouvent jamais. Et s'il avait rencontré quelqu'un qui fait du théâtre avec des handicapés, il n'y aurait peut-être pas trouvé sa place. Là, il a trouvé un lieu qui lui a permis de devenir poète. C'est tout un parcours, toute une histoire dans laquelle il s'est trouvé embarqué2. »

Comment cette recherche, éminemment déterminée par le théâtre comme art vivant, se transpose-t-elle au cinéma ? Il nous a paru intéressant de permettre de développer cette question à travers la projection de films réalisés par Pippo Delbono.
Certains de ces films sont connus car ils existent en dvd, mais la présence de l'artiste le dimanche 28 mars sera l'occasion d'approfondir la réflexion sur la place de ces deux arts dans son parcours. À n'en pas douter, pour Pippo Delbono, cinéma ou théâtre sont des voies d'exploration de son être dans le monde, de l'être au monde :
« À Sarajevo, je suis allé dans un cimetière où je suis resté un long moment et j'ai pris conscience à ce moment-là que j'entrais dans une nouvelle phase de ma vie : pour la première fois depuis toutes ces années, toutes ces années de maladie, j'étais touché par une douleur qui ne concernait pas ma propre mort ou ma propre vie, mais celle des autres, celle des gens que je ne connaissais pas3. »
Nancy Delhalle
Mars 2010

Nancy Delhalle enseigne l'histoire et l'analyse du théâtre à l'ULg. Ses recherches portent principalement sur le théâtre contemporain, les dramaturgies et la sociologie du théâtre.
Manifestations autour de Pippo Delbono à l'ULg
Jeudi 25 mars à 19h30 au Nickelodéon: Guerra
Le conflit israélo-palestinien vu par Pippo Delbono : Guerra (2003, 62')
Salle Gothot (1er étage)
Université de Liège Place du XX-Août, 7
Entrée : 4 €Récompensé du Prix du Meilleur film documentaire à la 60e Mostra de Venise, Guerra a été inspiré à Pippo Delbono lors de la tournée du spectacle du même nom en Israël et en Palestine. Dans ce film, l'auteur ausculte avec un regard poétique et glaçant cette partie du monde en ruines où misère, haine et massacre font partie du quotidien. Les barbelés, les mendiants, les maisons détruites dessinent le triste portrait de cette « Terre Sainte » marquée par le chaos. Au-delà du cas israélo-palestinien, c'est un discours universel sur la guerre et la sauvagerie de la nature humaine que porte le réalisateur.
Dimanche 28 mars au Cinéma Sauvenière, en présence de Pippo Delbono
Voir un extrait sur le site des Grignoux

17h30 : projection de Grido (Le cri)
Le film est une autobiographie filmée de Pippo Delbono. Il y revient sur des rencontres et des moments importants de sa vie, en compagnie des personnages qu’il rencontre sur sa route. Récit poétique et portrait de son parcours à travers le théâtre et la réalité. Pippo Delbono évoque en particulier sa rencontre et son amitié avec Bobò, un ancien interné psychiatrique qui participe, depuis leur rencontre, à tous ses spectacles.
"Ce film est né d'une expérience qui a transpercé ma vie. Deux années à extraire l'essence d'une histoire beaucoup plus longue. Je ne voulais ni ne pouvais écrire un scénario, ni inventer aucun personnage. L'histoire était là, vivante, comme les gens qui la font. Et parallèlement, mon désir d'explorer, à travers le langage cinématographique, la liberté de voler, de l'irréel, du rêve, de la poésie. Sans perdre la conscience de la vérité." Pippo Delbono
20h15 : projection de La Paura (La peur)
Pippo Delbono a filmé – entièrement sur son téléphone portable – le racisme au coin de la rue et la peur au quotidien. La Paura est composé d’impressions poétiques, politiques et sociales sur l’Italie de Berlusconi. Sauvage et déconcertant.
Les projections seront suivies d’une rencontre-débat, en présence du réalisateur.
Du mercredi 31 mars au vendredi 2 avril
(sur inscription à l'Université de Liège)
Au Théâtre universitaire et au Théâtre de la Place
Atelier dirigé par Pippo Delbono : Corpo del cinema, corpo del teatro
Dans le cadre du cours Atelier de mise en scène, dramaturgie et direction d'acteurs de la 2e année du Master en Arts du spectacle de l'Université de Liège, finalité Spectacle vivant et images numériques.
Du 31 mars au 2 avril au Théâtre de la Place
La Menzogna : dans le cadre du projet européen Prospero, création en Belgique du spectacle de Pippo Delbono.
Entouré d'une vingtaine de comédiens parmi lesquels ses « fidèles compagnons», Pippo parle du monde ouvrier, du monopole des richesses et de la responsabilisation de ce qui nous entoure.
Turin, décembre 2007. Un incendie au sein de l'aciérie ThyssenKrupp provoque la mort de sept travailleurs et de nombreux blessés. Ce drame ébranle l'Italie : révoltés contre les accidents de travail à répétition et les conditions de sécurité précaires, les ouvriers manifestent massivement. En janvier 2009, les dirigeants du groupe sont jugés pour homicide involontaire.Aux premiers jours de l'été, Pippo Delbono s'est rendu sur le site. Avec en tête les pleurs des mères, frères, enfants des victimes. Emportant les images de ces morts calcinés et l'odeur du fer brûlé, le poète italien a composé sa « Menzogna », « Mensonge » né de larmes, de souvenirs, de révoltes.
« Parler de la douleur sans pitié » : tel est le message de Pippo Delbono dans sa dernière création programmée cet été au Festival d'Avignon. Il nous entraîne dans les méandres de ses sentiments, ses fêlures et ses espoirs. Entouré d'une vingtaine de comédiens parmi lesquels ses « fidèles compagnons», Pippo parle du monde ouvrier, du monopole des richesses et de la responsabilisation de ce qui nous entoure.
Le mercredi 31 mars
Rencontre avec l'équipe de La Menzogna au Théâtre de la Place.
Pippo Delbono artiste invité à l'Université de Liège est une collaboration du Théâtre de la Place et du service Histoire et Analyse du Théâtre de l'Université de Liège (ndelhalle@ulg.ac.be).
