
Le Théâtre de la Toison d'Or, situé non loin de la Porte de Namur à Bruxelles, accueille jusqu'au 3 avril le nouveau spectacle de Charlie Degotte, «Zaventem moi non plus». Soit une femme qui attend son avion depuis 36 ans, entourée par trois hommes, le capitaine responsable de l'aéroport et un duo qui, vêtu comme des chevaliers... de la Toison d'Or, interprète de nombreux personnages. L'auteur et metteur en scène né en 1962 évoque sa carrière commencée au début des années 1980.
Grâce à votre père, l'auteur de bandes dessinées Charles Degotte, père de deux séries farfelues et poétiques, Le Flagada et Les Motards, l'humour est entré très tôt dans votre vie.
Le muscle du jeu de mots de mon papa, qui a nourri la famille en créant des petits mickeys rigolos, m'a certainement influencé. Mais si le jeu de mots convient à la bande dessinée ou aux humoristes, il ne fonctionne pas au théâtre. Et, d'un autre côté, la vie d'un dessinateur BD est assez monstrueuse, il est seul devant sa planche, il rit seul à son gag, il fait tout : le crayonnage, l'encrage, le lettrage, etc. Sans jamais entendre le lecteur rire. Dans le théâtre, c'est le contraire. On est en équipe et on est payé directement par le public, si d'aventure il rit.
Vous avez commencé très tôt. Votre premier spectacle, La cavalier exemplaire, «opérette biblique» présentée à l'Ancienne Belgique, date de 1983.
J'ai participé à «Artefact 1» le 20 novembre 1980, une performance que nous avons répété neuf mois pour ne la jouer qu'un soir à l'Ancienne Belgique. La nuit de démontage, j'étais triste que cette aventure s'arrête, c'est ce qui m'a donné envie d'en faire une autre et encore une autre. Et depuis je ne fais rien d'autre qu'en faire une autre.
Vous aviez pris des cours de théâtre?
Pas du tout, j'étais batteur dans un groupe de musiques très étranges qui accompagnaient les acteurs peinturlurés. C'était bizarre. Après cela, nous avons ouvert un théâtre et, constatant mes lacunes au niveau de la régie son, je me suis inscrit à l'INSAS. Je n'y ai pourtant pas fait le son mais le théâtre. Je suis resté quatre ans durant lesquels j'ai rencontré des brillants professeurs, comme Arlette Dupont et René Hainaux, et j'ai notamment été l'assistant d'Isabelle Pousseur.
Mais manifestement vous vous êtes très vite éloigné de cet enseignement.
Oui, j'ai toujours fait l'inverse de ce que nous préconisait notre directeur de classe. Pas spécialement par esprit rebelle mais, cherchant à travailler sur le rire, cela me semblait normal d'aller à rebrousse-poil.
D'où l'invention des spectacles-minutes : Shakespeare, Wagner, Bizet, Mozart...?
Ce n'était pas une idée préconçue mais la conséquence d'une réalité de production. Au début, ne disposant que de quelques milliers de francs belges, j'étais obligé de faire des pièces courtes pour ne pas devoir répéter trop longtemps avec des comédiens que je ne pouvais pas payer. Après, c'est devenu un style que j'ai pu inscrire dans des soirées ou des revues.
D'accord, mais c'était d'abord un état d'esprit. D'autres metteurs en scène qui n'ont pas d'argent n'empruntent pas la même voie.
À cette époque, je m'ennuyais profondément au théâtre. J'ai dès lors tenté de faire un théâtre éminemment non emmerdant. Mais ce n'était pas de la provocation de ma part. Plutôt, au début, une forme de psychanalyse. Pendant un an, j'ai été assistant sur Le Roi Lear d'Isabelle Pousseur que nous avions monté dans les casernes Bressoux à Liège et qui durait trois heures. Comme je connaissais le sujet par cœur, j'ai eu envie de faire un Roi Lear en dix minutes. J'ai fait d'autres «minutes» ensuite avant de pousser le bouchon jusqu'au point de non-retour avec tout Shakespeare en une heure vingt.
C'est «Yzz! Yzz!» créé en 1992 à l'Atelier Sainte-Anne, et partiellement en anglais, dont on a beaucoup parlé à l'époque.
Cela m'a pris trois ans de préparation. J'ai tout lu, tout résumé. Je me suis même rendu à la bibliothèque de Stratford-sur-Avon où l'on trouve absolument tout ce qui a été publié sur Shakespeare. Sur chaque pièce, j'avais un axe de travail que nous avons travaillé en improvisations avec les comédiens. Je travaille presque toujours à partir d'improvisations, plus ou moins longtemps selon le budget dont je dispose. Le spectacle se construit petit à petit même si, chaque jour, j'essaie d'arriver avec des idées neuves.
Vous avez aussi travaillé sur Marcel Marien en 1998.
J'ai résumé son œuvre en dessins mis dans des cases qui représentaient chacune une situation et autour de laquelle nous improvisions Le nom de mon asbl, Aucun mérite, est le raccourci de son dernier aphorisme écrit sur son lit de mort et qui était le titre du spectacle: «Il n'y a aucun mérite à être quoi que ce soit».
Votre nouveau spectacle, «Zaventem moi nous plus», vous l'avez écrit.

Oui, comme Youpi, en 2005, qui était une opérette. Nous n'avions que très peu de temps de répétition. L'idée de l'aéroport était une envie de Nathalie Uffner qui m'a demandé d'écrire une pièce pour elle. C'est une comédie romantique. J'ai revisionné la première scène de Playtime de Tati pour me mettre en état. J'aime son humour d'observation. Sous son influence, je me suis d'ailleurs parfois permis de sonoriser des petites choses. Et c'est aussi le mode de production qui m'a conduit à habiller les acteurs en chevaliers de la Toison d'Or. Trouver des costumes différents pour chacun des personnages qu'ils interprètent, gérer les changements en coulisse, etc., c'était impossible. Il y a aussi un radiateur et une goutte de compagnie qui est un personnage à part entière.
Le texte possède de nombreuses références à la Belgique: Tintin, Magritte, Folon...
Je suis d'ici, j'appartiens à cette royauté d'opérette et j'en suis très fier. Alors je travaille avec ce que j'ai sous la main. Mais attention, «Tintin», on ne peut plus le dire, cela déclenche le détecteur Moulinsart et tout se met à trembler.
Michel Paquot
Mars 2010

Michel Paquot est journaliste indépendant.
Au Théâtre de la Toison d'Or, chaussée d'Ixelles à 1050 Bruxelles. Avec Nathalie Uffner, Nicolas Buysse, Antoine Guillaume, Aurelio Mergola. Jusqu'au 3 avril du mardi au samedi à 20h30. Réservation au 02/510.0.510 ou à la Fnac.
Photos © Julien Pohl