
L'Université de Liège vient de récupérer une trentaine de gravures précieuses du 16e siècle qui lui avaient été volées dans le milieu des années 70. Cette fois grâce à la vigilance de la salle de ventes Christie's London, mais c'est à une véritable chasse aux trésors que se livre au quotidien la direction des collections artistiques du Pr Jean-Patrick Duchesne : 350 oeuvres sont toujours « dans la nature ».
Ci-contre : Lucas de Leyde, Saint-Luc,
burin, 11,6 x 8,8 cm, s.d.
Des gravures de Lucas de Leyde, l'un des plus grands graveurs du 16e siècle, datées de 1510 à 1530 et d'autres réalisées d'après Pieter Bruegel l'ancien, qui ne gravait pas lui-même mais faisait réaliser par d'autres ses projets de gravure, datées de 1556 à 1560 : l'Université de Liège vient de récupérer 26 pièces de ses collections artistiques, mises en dépôt dans la célèbre salle de ventes « Christies » en octobre 2007. Un « trésor » d'une valeur de près de 30.000 euros. « Un événement heureux et un moment particulier » pour le recteur Bernard Rentier, qui signale que la disparition de ses œuvres n'était pas le fruit d'un « larcin occasionnel » mais bien d'un « véritable trafic », organisé dans les années 70.
« Les collections artistiques de l'Université de Liège sont riches de plus de 60.000 pièces, d'une grande variété: numismatique, art africain, peinture, sculpture, art décoratif, gravures, estampes », rappelle Jean-Patrick Duchesne, directeur des Collections artistiques de l'ULg. « La plus grande part provient du legs du baron Wittert, ancien étudiant de l'université et collectionneur d'art un peu compulsif, qui, peu avant sa mort en 1903, légua près de 40.000 pièces à l'Université. Au départ, ces collections étaient gérées par la bibliothèque de l'Université, avant qu'un service spécifique soit créé dans les années 60. Des pertes avaient déjà été signalées pendant les deux guerres mondiales mais c'est surtout dans les années 70, sans doute lors du transfert de ces pièces depuis la bibliothèque, qu'un vol de grande ampleur a été organisé. Un vol en toute connaissance de cause, très sélectif et organisé: un registre des œuvres avait également disparu. »

Après avoir déjà récupéré un important ensemble d'objets africains grâce à la collaboration de la police judiciaire en 2006, c'est cette fois grâce à la « botte secrète » de « marques » apposées sur les œuvres que l'ULg a pu récupérer son dû : « Les professionnels de chez Christie's ont repéré sur les œuvres le monogramme, la marque, du baron Wittert qu'on avait tenté de gratter », explique le Pr Duchesne. « Certaines œuvres portaient aussi un estampillage de l'Université, mais les faussaires avaient maquillé celles-là en les recouvrant d'une autre marque. »
Christie's, qui ne peut guère se permettre de vendre des œuvres volées pour une question de réputation, a donc ici pleinement joué son rôle. C'est la salle de ventes qui a signalé à l'ULg la découverte et qui a servi d'intermédiaire avec le vendeur, qui, en l'occurrence, est de bonne foi: il avait récupéré par héritage les œuvres, achetées dans une salle de vente américaine. « L'excellent travail des services juridiques de l'ULg a fait le reste », sourit Bernard Rentier.
C'est que si une législation européenne destinée à favoriser le retour des biens culturels reconnaît la propriété absolue des lésés en pareils cas, elle n'est pas toujours facile à faire appliquer partout. Et encore faut-il pouvoir prouver que les œuvres ont bel et bien été en possession de l'université. Les cachets de Wittert ne laissaient guère place au doute en l'occurrence, mais les choses sont parfois plus compliquées. En l'espèce, deux ans à peine après leur découverte, les pièces ont été récupérées par l'Université, qui a pu les exposer à la petite galerie... Wittert, en ses bâtiments de la place du 20-août.
Mais près de 350 œuvres sont toujours manquantes. « Nous les chassons, littéralement, en scrutant les catalogues des ventes publiques », explique le Pr Duchesne. « Parfois, ce sont les collectionneurs eux-mêmes qui les repèrent. Certains outils nouveaux, comme des sites internet répertoriant les œuvres, facilitent ce travail de récupération. »
L'Université de Liège elle-même est en train de finaliser un catalogue scientifique systématique de ses œuvres d'art et documents au sein d'une base de données informatique. 30.000 pièces y ont déjà été répertoriées et cette base de données servira de nourriture à un « musée virtuel » qui devrait bientôt voir le jour sur internet.
C'est que l'Université n'est pas collectionneur d'art par excentricité: « Les musées sont nés dans les universités », rappelle Bernard Rentier. « Elles ont toujours été des lieux de collection. Nos collections sont accessibles à la demande et servent aussi de support pédagogique. Et puis, elles sont aussi l'objet de travaux scientifiques: il ne s'agit pas que de collectionner mais aussi de dire quelque chose des pièces possédées. »
Pierre Morel
Mars 2010

Pierre Morel est journaliste indépendant
Université de Liège - Collections artistiques
Galerie Wittert - place du 20-Août 9 - 4000 Liège
Les gravures récupérées sont exposées à la Galerie Wittert, jusqu'au 19 mars.