
Le cinéaste namurois Bernard Bellefroid signe La Régate, une œuvre poignante, tournée à Liège, autour d'un amour problématique, qui ne peut s'exprimer que par la violence.
Du haut de ses quinze ans, Alexandre (Joffrey Verbruggen) n'a qu'une passion : l'aviron. Lorsqu'il ne souque pas ferme sur l'eau, l'adolescent subit les foudres de son père, Thierry (Thierry Hancisse), dans l'appartement miteux où ils viennent de s'installer. Tombant de Charybde en Scylla, Thierry est un travailleur précaire, un père indigne et un homme résolument aigri, au caractère abrupt. Les jours de déprime, il se réfugie dans une solitude pernicieuse, entretenue par l'alcool. Lorsqu'il est au fond du trou, il bat comme plâtre son fils, trouvant dans cet acte le dernier moyen, paradoxal et scandaleux, de lui exprimer son amour.
Alex trouve un refuge, une échappatoire à cette situation familiale lourde et pénible en fendant les eaux à bord de son skiff. Voyant en ce sport un moyen de garder la tête hors de l'eau, l'ado n'est réellement heureux que lorsqu'il godille. Lors des compétitions, il donne tout ce qu'il a dans le ventre et dans les bras. Son entraîneur, Sergi (Sergi López), est à cent lieues d'imaginer le quotidien d'Alexandre. Cependant, pour ce dernier, il est comme un père de substitution. « Je voulais que l'entraîneur soit un "regardeur", quelqu'un qui fasse grandir parce qu'il regarde autrement, explique le réalisateur Bernard Bellefroid, présent au « Parc » le 24 février dernier lors de l'avant-première liégeoise, en compagnie de deux des acteurs. En ce sens-là, on peut dire que c'est un père de substitution, un tuteur de résilience. »
L'équipe
C'est en sortant de l'Insas en 2003 que Bellefroid, Liégeois de naissance et Namurois de résidence, imagine l'histoire et mûrit le propos de La Régate. Lauréat de la Fondation belge de la vocation la même année, Bellefroid planche, dans la foulée, sur l'écriture de deux documentaires : Rwanda, les collines parlent (2005) et Pourquoi on ne peut pas se voir dehors quand il fait beau (2007). Le cinéaste se lance alors corps et âme dans l'écriture et la préparation de sa première fiction : La Régate. Il croise alors le parcours de Joffrey Verbruggen, un jeune acteur bruxellois qui avait débuté sa carrière en 2008 dans Unspoken, le deuxième film de la réalisatrice Fien Troch.
Le nouveau film de Bernard Bellefroid révèle le talent de Thierry Hancisse. Sociétaire de la Comédie-Française depuis 1993, le Liégeois est formé au cours Florent et à l'Académie théâtrale de Liège. Tout en brûlant les planches dans des pièces aussi variées que Occupe-toi d'Amélie de Feydeau, Le Misanthrope de Molière ou Les Joyeuses commères de Windsor de Shakespeare, Hancisse déploie abondamment son talent au cinéma et à la télévision. Avant de rencontrer Bellefroid, il tourne - entre autres - avec Costa-Gavras dans le Couperet (2004), est engagé par Éric Valette pour Une affaire d'État (2009) et déguste La Bûche de Danièle Thompson (1999).

Entre douceur et extrême violence, Hancisse, par ailleurs officier de l'ordre des Arts et des Lettres, ne verse jamais dans la surenchère et apporte à La Régate une exceptionnelle justesse de ton. Pourtant, dans le chef de bon nombre de réalisateurs, filmer la violence et la douleur humaine constitue généralement un nœud gordien. Comment contourner l'écueil du misérabilisme et du pathos ? Comment faire évoluer les personnages dans un contexte social douloureux sans s'enfoncer dans le mélodrame sirupeux ? Là où certains auraient engendré un film terne et oppressant, Bernard Bellefroid livre une œuvre intense, juste et résolument optimiste.
En outre, La Régate est un film qui n'aurait sans doute pas vu le jour sans la contribution de Liège et en particulier celle du Clap!, le bureau d'accueil des tournages.
L'aviron occupant une place centrale dans le film, ce sont vers les sportifs du RCAE, le service des sports de l'Université de Liège, que Bellefroid s'est tourné. « Je voulais que les personnages évoluent dans un vrai club d'aviron, explique-t-il. Je pensais que ça pouvait provoquer de chouettes étincelles, en ce sens où les comédiens apprendraient des choses aux sportifs et inversement. » Et pour cause, ce choix confère au film une authenticité et une crédibilité, essentielles à la représentation à l'écran du sport nautique.