Le « L@b », un vaste espace consacré au numérique

En 2001, la Foire du Livre avait installé à grand battage un village ebook mais, comme on sait, ces premières tablettes qui devaient révolutionner la lecture n'ont pas eu de suite. Les années ont passé et, aujourd'hui, avec les projets de bibliothèque de Google et l'arrivée de nouvelles tablettes (ou liseuses) plus performantes, le numérique est devenu incontournable dans le domaine du livre. C'est à Tanguy Habrand, assistant au sein du Département des Arts et Sciences de la Communication à l'Université de Liège, que la manifestation littéraire a confié la mission de plancher sur le sujet pour son quarantième anniversaire. Cette réflexion a débouché sur un espace entièrement dédié à ce phénomène, un laboratoire appelé L@b qui le détaille sous ses multiples axes, de la création à la diffusion. Précisions avec l'intéressé.

Habrand Tanguy

Pourquoi les organisateurs de la Foire vous ont-ils contacté ?

J'ai écrit l'an dernier dans Le Carnet & les Instants [trimestriel édité par la Promotion des Lettres belges] un long article abordant les différentes problématiques du numérique qui est l'un des aspects de l'édition contemporaine sur lequel je travaille à l'université. J'anime également, en ce début d'année, les Journées du Livre mises en place par la Promotion des Lettres qui consistent en trois demi-journées d'échanges interprofessionnels de savoirs sur le numérique et qui, s'adressant à un autre public, sont complémentaires avec la Foire.

Sur quelles bases êtes-vous parti ?

Je ne voulais pas me faire passer pour quelqu'un que je ne suis pas, il y a des éditeurs qui travaillent dans le numérique depuis très longtemps, notamment dans les domaines juridiques ou de l'édition scientifique. Je me suis dit que c'était l'occasion de jouer un rôle de passeur entre ce que je vois dans le métier et le public.

À quoi ressemble ce nouvel espace, le l@b et que pourra-t-on y voir et entendre ?

C'est une zone propre avec une scénographie spécifique. Elle contient un espace de rencontres et un mur sur lequel vont être fixés des Ipod touch d'Apple afin que les visiteurs puissent les manipuler. Et un partenariat a été mis en place avec la librairie Filigranes de Bruxelles pour disposer de tablettes de lecture numériques. Parmi les invités, nous aurons Jean-Noël Jeanneney, l'ancien président de la Bibliothèque nationale de France qui a opposé un refus radical au projet de bibliothèque numérique de Google et a cherché à relancer la numérisation du patrimoine par les pouvoirs publics en France et au-delà, face à Philippe Colombet, directeur de Google France. Nous allons également étudier l'impact du numérique sur le travail éditorial avec différents spécialistes ou avec des éditeurs, tel De Boeck, Léo Scheer ou Le Diable Vauvert. Nous aurons enfin des débats plus généraux sur l'avenir de la pensée, la nouvelle perception du savoir, etc., avec notamment Pierre Assouline [qui tient lui-même un blog quotidien très lu et abondamment commenté, La République des Livres], Lucien X. Polastron, auteur de La Grande numérisation. Y a-t-il une pensée après le papier ? (Denoël) ou Milad Doueihi, auteur de La Grande conversion numérique (Seuil), approche anthropologique d'une culture qui se numérise. Et enfin Nicolas Ancion va, pendant vingt-quatre heures, écrire un court polar avec un stylo électronique qui convertira les mouvements de sa main en texte. À la fin de la Foire, ce texte pourra être téléchargé sur son site. C'est une façon de permettre au public d'aller vers de nouveaux formats de lecture, de le sensibiliser à ces changements.

Que pensez-vous personnellement de la numérisation des livres ?

Sur le principe, je ne suis pas inquiet pour le livre traditionnel, je trouve que c'est une bonne chose que les textes et les contenus évoluent. J'ai toujours vécu dans des environnements numériques et, jusqu'à mes dix-huit ans, j'ai davantage joué à des jeux vidéos que lu des livres. Mais il faut aussi rester prudent. C'est l'une des raisons pour laquelle je pense qu'il est important d'en parler avec des professionnels. D'autant plus qu'on a vu des acteurs débarquer de nulle part et essayer d'imposer des règles ne correspondant pas du tout à celles de la chaîne du livre. Un site comme Amazon, par exemple, qui a commencé à vendre des livres papiers, propose maintenant à des auteurs de mettre directement en vente leurs textes en leur offrant des droits d'auteurs qu'aucun éditeur ne pourrait proposer. Il tente ainsi d'évincer les éditeurs et les libraires traditionnels. Cela fait partie des vrais problèmes auxquels on doit être attentifs. Il est indispensable que la profession s'organise si elle veut rester dans la course et ne pas disparaître.

Le processus est désormais irréversible ?

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(...) Il existe une convergence de facteurs qui font que le marché est en train de se mettre en place. Si ce marché est encore émergeant, il n'est plus futuriste comme c'était le cas au début des années 2000. Au niveau des supports de lecture, les avancées sont importantes, les tablettes sont de plus en plus perfectionnées. Le texte et l'image disposent déjà d'énormément de supports. L'Iphone, notamment, permet de lire des romans ou des bandes dessinées. Beaucoup d'éditeurs ont commencé à numériser leurs catalogues, de plus en plus de titres sont mis à la disposition du public. L'offre est donc en train de s'étoffer et pour que le marché décolle véritablement, elle doit être aussi nourrie que l'offre papier.

Justement, qu'en est-il de cette offre ?

Avec les vastes projets de numérisation mis en place (Google, Gallica...), on se retrouve avec des millions de livres numérisés sur Internet. Le numérique ne va pourtant pas détrôner le papier, l'un ne va pas remplacer l'autre. Il va y avoir une véritable complémentarité entre les deux. Mais la numérisation coûte cher et il est difficile pour un éditeur d'investir dans ce domaine en sachant que les ventes vont mettre du temps avant de décoller. Une des pistes ébauchées est d'envisager le numérique comme l'équivalent du poche pour le roman traditionnel. La version numérique pourrait être disponible plusieurs mois après la première édition papier. Un dialogue pourrait ainsi s'instaurer.

Qu'est-ce ça coûterait au lecteur ?

C'est l'objet d'un grand débat. Il est évident que l'on ne peut pas proposer un livre numérique au même prix qu'un livre papier, le lecteur ne le comprendrait pas. Une des questions est de savoir s'il est possible d'instaurer un prix unique pour le livre numérique. Pour éviter par exemple que des libraires comme Amazon vendent à des prix cassés des fichiers numériques. Il faudrait également baisser le taux de TVA associé au livre numérique. Et, contrairement à ce qui se passe pour la musique, les livres devraient être vendus à des prix différents selon leur type, leur importance, etc.

Et comment seraient rémunérés les auteurs ?

C'est un autre grand défi vu la multiplication des points de vente virtuels. Il est très compliqué de calculer le montant qui revient à l'auteur. D'autant plus si certains revendeurs proposent des abonnements à des sortes de bouquets, des catalogues par exemple. Plusieurs pistes sont actuellement envisagées. Une des solutions les plus efficaces, ce serait d'établir une assiette commune avec un prélèvement global et centralisé sur tout le marché et ensuite reversé aux auteurs selon des principes encore à définir.

Michel Paquot
Février 2010

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Michel Paquot est journaliste indépendant.