Néanmoins, le règlement laisse percevoir une adaptation des règles habituellement en vigueur pour les religieuses aux exigences spécifiques du métier d'infirmière. La robustesse s'ajoute aux qualités ordinairement requises des postulantes : elles doivent avoir « les forces corporelles entières et suffissantes pour vacquer tant de jour que de nuict sy la maladie des pauvres ».
La vie du couvent se subordonne également aux exigences des soins. Ainsi, le nombre maximum de religieuses recevables dans la Maison de Miséricorde dépend des besoins de l'hôpital en personnel. « Ne voulons touttesfois », précise l'acte de 1603, « que la maison soit charge par une grande multitude de filles, mais le nombre dicelles se prendra a proportion des malades que la maison pouldra penser (soigner) et nourrir, scavoir que pour servir trente ou quarante ne seront reçues plus que dix ou douze le tout afin que le nombre des pauvres bourgeois malades ne soit diminué par le trop grand nombre des filles, et qu'au lieu dunne maison de malades ne soit faict un monastère de Religieuses contre notre première et principale intention ».
Les obligations régulières s'effacent pareillement derrière les nécessités du service hospitalier. C'est par exemple le cas pour le respect des jeûnes réguliers. Les Sœurs « garderont les jeûnes commandees par legliese et ne pouront entreprendre daultres extraordinaires sans expres conge du pater (l'aumônier) et mater (la mère supérieure) craingnant que par ce moyen ne se rendent inhabiles et moins idoines (aptes) pour servir les malades ; la mater recommandera a celles quy seront en leur tour a servir les malades de prendre quelcque chose a matin avant approcher iceulx mesmes les jours de jeûnes en forme de medicinne ».
Le statut de 1603 définit de même la prise en charge hospitalière des patients. Des religieuses dépendent la propreté des lits, la bonne alimentation des malades, ou le maintien de l'ordre dans les chambrées : « afin que les malades n'ayent ou prennent occasion de se quereller ou caquetter comme il advient souvent ». Leur mission est enfin d'ordre spirituel. Elles doivent « consoler le malade par pieuses exhortations à la patience et aultres vertus christiennes » et prévenir le desservant en cas d'aggravation de son état. Sur le plan médical, les soeurs rendent « de lict en lict », compte aux médecins de l'évolution des patients entre deux visites successives. Elles doivent enfin administrer les médications, sans « rien <y> changer a leur phantasie, soit en quantité ou qualité des viandes ou boisson, soit au temps prescrit ». Elles préparent enfin les médications, puisque la pharmacie comme le jardin sont aussi de leur ressort. En 1608 d'ailleurs, Sœur Barbe se rendra auprès des religieuses de l'hôpital d'Anvers, pour s'initier à la pharmacie.
Ainsi esquissé à sa création, le fonctionnement de l'hôpital de Bavière varie peu jusqu'à la Révolution et l'avènement du Régime français. Institution charitable privée, Bavière passe alors sous juridiction publique, celle de la Commission des Hospices.
Hôpital de Bavière, début 20e siècle. Collections artistiques ULg.
Autre source de bouleversement, l'hôpital devient école d'application pour les cliniques de la nouvelle université. Deux conceptions de la médecine s'y confronteront au 19e siècle, l'une émanant de la bienfaisance chrétienne, l'autre plus scientifique et d'inspiration positiviste. La popularité de l'hôpital restera, quant à elle, intacte. « Aller a Bavîre » demeura, pour les Liégeois, synonyme d'hospitalisation, avec tout ce que cela suppose de crainte face à la maladie et d'espoir de guérison.
Geneviève Xhayet
Février 2010
Geneviève Xhayet est chercheur au Centre d'Histoire des Sciences et des Techniques.Ses principales recherches portent sur les rapports des sciences et de la médecine avec la société.