Islam politique : une brève comparaison avec la « démocratie chrétienne »

Une même hostilité à l'égard de la démocratie et de la vision dont elle procède

L'attachement à l'ordre traditionnel s'est accompagné dans les deux cas d'un rejet de la démocratie et des valeurs qui la portent. Ainsi, Mgr Gousset, un évêque français du 19e siècle disait : « La démocratie est l'hérésie de notre temps ». Un islamiste tunisien, Hassan Ghodbani, reprenait le même point de vue en 1979 : « La démocratie c'est le pouvoir du peuple (...). Or Mohammad n'a pas gouverné selon son autorité ou en consultant le peuple, mais en suivant le Coran, la parole de Dieu ». Et l'on pourrait multiplier les exemples.

Une même peur de la laïcité sciemment confondue avec l'hostilité à l'égard de la religion

Bien que la laïcité soit un principe visant en premier lieu à « assurer la liberté de conscience et à garantir la liberté de culte » afin que « nul ne (puisse) être inquiété pour ses opinions même religieuses », elle est rejetée par l'islam politique comme par le christianisme politique sur la base de son assimilation à une idéologie hostile à la religion, tout simplement parce qu'elle prône la séparation du politique et du religieux.

Les islamistes, comme les idéologues du christianisme politique, n'ignorent pas que la laïcité « assure la liberté de conscience et garantit la liberté de culte » ; ils savent qu'elle n'est pas hostile à la religion. Ce qui les gêne, les uns comme les autres, c'est qu'elle refuse que l'État et les pouvoirs politiques soient les instruments de l'hégémonie de leur doctrine au détriment de toutes les autres ; c'est la liberté de conscience qui leur fait peur. Le rejet des droits humains se fonde sur la conviction qu'ils sont contraires aux « droits de Dieu » et à sa Loi.


Une même misogynie

La misogynie de l'islam politique, qui se nourrit du poids des traditions patriarcales encore très pesantes dans la plupart des sociétés musulmanes, n'a pas besoin d'être démontrée. Le sort réservé aux femmes dans ces sociétés et dans les programmes politiques des mouvements qui se réclament de l'islam politique illustre cette misogynie maladive : longue est la liste des discriminations de toutes sortes que vivent les femmes. Certes, le christianisme politique, du fait des mœurs des sociétés dans lesquelles il a vu le jour, ignore toute une partie du programme de l'islam politique dans ce domaine (notamment en ce qui concerne la polygamie, la question de l'héritage, de l'adoption, etc.). Cependant, ses réactions à l'égard des premières mesures en faveur de l'ouverture de l'enseignement aux femmes ne sont pas très éloignées des conceptions prônées par l'islam politique. Et ce sont des points de vue que développent tous les discours machistes, quelle qu'en soit l'idéologie, religieuse ou non.

Ainsi, en réaction à la loi du 18 mars 1880 autorisant l'ouverture des externats de jeunes filles, un homme politique libéral, Janet, disait : « ... plus délicates, elles doivent être élevées pour la simplicité de la vie domestique, pour l'obéissance, pour la piété, pour les vertus douces et timides ; ce qui est un bien pour les hommes est un danger pour elles ». Un autre s'offusque : « Au lieu de faire aimer à la femme le rôle secondaire, inférieur, mais encore si grand qui est le sien propre, on lui répète qu'elle a droit à partager avec l'homme le premier rôle ...c'est là tout simplement le renversement des lois de la nature, et c'est un véritable oubli des conditions d'une société régulière telle que la religion catholique l'institue... ».

La littérature des pays musulmans, de l'islam politique comme de tous les conservateurs machistes qui ont peur pour leurs privilèges, regorge de ce genre de regrets, d'indignations, d'invocations conjointes de la religion et de la nature, dans l'espoir de retarder les échéances ou, quand il est trop tard, de retrouver le « paradis perdu ».

En vérité, les positions du christianisme politique et de l'islam politique à ce sujet, comme à propos d'autres questions, sont tributaires de l'évolution des opinions, des mœurs et de l'état de la société à laquelle ils ont affaire.

Les mêmes revirements générateurs des mêmes adaptations

En effet, dans les deux cas, l'évolution de la société, le désespoir de restaurer l'ordre traditionnel défendu bec et ongles contre la « modernité permissive » et l'« État sans dieu » ont vite eu raison du zèle montré dans la défense de la monarchie de droit divin, d'un côté, et du Califat, de l'autre. Dans le cas du christianisme politique, faute de mieux, l'Empire, la monarchie constitutionnelle au 19e siècle, puis le Régime de Vichy ont été soutenus contre la République. Quant à l'islam politique, ses courants majoritaires ont très vite renoncé à la restauration du Califat pour fonder leur espoir sur la monarchie saoudienne puis sur tel ou tel régime qui affiche son rejet de la « modernité occidentale », de sa laïcité et de ses « faux droits de l'Homme », etc. et qui proclame son attachement à la sharî`a comme unique ou principale source du droit.

Puis, de revirement en revirement, d'adaptation en adaptation, l'islam politique et le christianisme politique ont atténué leur critique à l'égard de la démocratie et des droits humains qu'ils ne rejettent plus en bloc. Ils ont graduellement intégré les droits auxquels ils ont réussi à trouver une certaine conciliation avec la norme religieuse dont ils avaient renouvelé l'interprétation sous la pression de l'évolution des idées, des mœurs et des relations sociales, tout en continuant à rejeter, avec la même véhémence, les principes qu'ils jugent incompatibles avec leur conception de la religion.

Les diverses adaptations qui ont eu lieu ne sont pas étrangères aux changements de stratégie auxquels ils furent contraints. L'échec des différentes tentatives de reconquérir le pouvoir par le haut les a conduits à essayer de profiter des possibilités qu'offrent les sociétés modernes pour développer des stratégies de reconquête par le bas : « enfouissement », création de différentes associations professionnelles, syndicales, socioculturelles, caritatives, voire des partis politiques pour participer à la vie politique et à la compétition démocratique pour le pouvoir, etc. Cette stratégie fut à l'origine de clivages, au sein du christianisme politique, entre courants traditionalistes tournant le dos à la société et au siècle et courants intégrant de plus en plus les valeurs de justice sociale, de liberté et de démocratie, que la société elle-même avait intégrées. C'est de ces courants que sont nés les partis démocrates chrétiens, la social-démocratie chrétienne, la théologie de la libération en Amérique latine. Qu'en est-il pour l'islam politique ? Peut-on dire qu'il a connu ou qu'il est en train de connaître les mêmes évolutions ?

Page : précédente 1 2 3 suivante