Nikos Kazantzaki : un esprit libre

Nikos Kazantzaki (l'auteur écrivait lui-même son nom en français sans le « s » final du grec) est une figure d'exception des lettres néohellénique. Passionné de littérature, de philosophie et de voyages, Kazantzaki a écrit une œuvre monumentale, traduite en de nombreuses langues et a inspiré plusieurs réalisateurs dont Scorsese et Kakoyiannis.

christ

Né en Crète, le 18 février 1883, quand celle-ci se trouvait encore sous occupation ottomane, il fut marqué à jamais par l'amour inconditionnel de la liberté, manifesté par les Crétois. Son propre père, Michalis, après avoir transporté sa famille sur l'île de Naxos pour assurer leur survie (1879-1899), est retourné en Crète combattre les Turcs et ce, jusque l'accomplissement du rêve de l'indépendance et du rattachement à l'état grec.

Nikos Kazantzaki étudie au sein d'une école secondaire catholique et apprend le français et l'italien. Il suit ensuite des études de droit et obtient son diplôme de l'Université d'Athènes en 1906. Il publie pendant cette période son premier ouvrage, Le Lys et le serpent et compose des poèmes.

Mais le pas décisif pour l'élargissement de sa pensée se réalise quand il part pour étudier la philosophie du droit à Paris (1907-1909), où il rencontre le professeur Henri Bergson et les écrits de Nietzsche. La thèse qu'il défend avec succès est intitulée : « Friedrich Nietzsche dans la philosophie du droit et de la cité ». De retour en Grèce en 1910, il traduit des œuvres philosophiques. En 1911, il se marie avec sa première épouse, Galatia Alexiou (dont il se sépare en 1926) et en 1912, après la publication d'un essai sur Bergson, il s'engage comme volontaire aux guerres balcaniques.

Nikos Kazantzaki effectue jusqu'à son décès (le 26 octobre 1957, en Allemagne) de nombreux voyages de par le monde (France, Grande-Bretagne, Allemagne, Suisse, Tchéquie, Pays-Bas, Égypte, Soudan, Chypre, Palestine, Inde, Russie, Chine, Japon...), avide de mieux connaître les hommes et leurs cultures. Il fit ensuite de longs séjours dans plusieurs pays européens. Auteur, journaliste (souvent envoyé spécial pour des sujets d'actualité brûlante comme la guerre civile en Espagne ou la montée du fascisme en Italie), traducteur, membre reconnu de l'intelligentzia internationale, il est également appelé à accomplir des missions importantes par le gouvernement de son pays, comme le rapatriement de centaines de milliers de Grecs vivant autour de la Mer Noire et en Asie Mineure en 1919.

Il crée un parti politique en 1945 (l'Union socialiste ouvrière), il est nommé président du conseil supérieur du parti socialiste en 1946 et ministre par la suite, mais comprend vite que le rôle de politicien ne lui convient pas. Celui d'administrateur non plus, d'ailleurs : nommé conseiller en littérature à l'UNESCO en 1947, il démissionne assez vite pour continuer sa vie d'errance et d'écriture, accompagné de sa deuxième épouse (depuis 1945), Eleni Samiou. En 1950, il se voit octroyer le prix international de la Paix.

zorba

Nikos Kazantzaki écrit sans relâche. Son œuvre monumentale, largement traduite en plusieurs langues, embrasse pratiquement tous les genres littéraires : des romans (Le Lys et le serpent (1906), Vie et œuvres d'Alexis Zorbas (1946), Le Christ recrucifié (1948), Les Frères ennemis (1949), Kapetan Michalis. La Liberté ou la mort (1950), La Dernière tentation (1951), Pauvre d'Assise (1956)...) ; des poèmes (Odyssée (1924-1939), Tersinès ou Canti (1932-1937)...) ; des pièces de théâtre (Le Jour se lève (1907), Le Maître maçon (1910), Christ (1915), Ulysse (1915), Melissa (1937), Julien l'Apostat (1939), Bouddha (1941), Prométhée (1943), Sodome et Gomorrhe (1948), Kouros (1949), Christophe Colomb (1949), Constantin Paléologue (1951)...) ; des carnets de voyages (Du Mont Sinaï à l'île de Venus. Carnet de voyage (1927), Russie (1928), Chine-Japon (1935-58), Espagne (1937)...) ; des articles pour journaux quotidiens ; des essais (Le Mal du siècle (1906), Friedrich Nietzsche dans la philosophie du droit et de la cité (1909), Henri Bergson (1913), Ascèse. Salvatore Dei (1922-1944), Toda raba. Moscou a crié (1929 - écrit en français), Anthologie de la poésie espagnole (1932), Le Jardin des Rochers (1936), Rapport à Gréco (1956)...) ; des livres pour enfants (Dans le palais de Minos (1914-1940), Alexandre le Grand (1914-1940)) ; des dictionnaires, des traductions en grec moderne d'œuvres de Bergson, de Nietzche, de Dante, de Goethe, de Machiavel...

Quelques-uns de ces ouvrages ont inspiré des réalisateurs connus, qui en ont fait des films : Celui qui doit mourir (Le Christ recrucifié) par J. Dassin (1957), Zorba le Grec (titre en anglais : Alexis Zorba) par M. Kakoyiannis (1964), La Dernière tentation du Christ (M. Scorsese (1988)... Ce dernier suscita encore plus de réactions que le livre lui-même. Notons que l'église a failli excommunier Nikos Kazantzaki, considérant plusieurs de ses œuvres scandaleuses – mais réagissant aussi à ses attaques concernant l'immoralité de nombreux de ses représentants.

Nikos Kazantzaki

Quelle que soit la forme que cet auteur donne à sa pensée, celle-ci reste extraordinairement originale. Nikos Kazantzaki a reconnu avoir connu des influences très diversifiées au long de sa vie : la personnalité du Christ, de Saint-François d'Assise et l'esprit de l'ascèse chrétienne, surtout orthodoxe ; le nationalisme ; le nihilisme et l'existentialisme ; le Bouddhisme ; le Marxisme et le Socialisme ; les rencontres avec des hommes et des femmes exceptionnels, comme A. Schweitzer, Panaït Istrati, Gorki, Aggelos Sikelianos, Pandelis Prevelakis, Georgios Zorbas... On retrouve des traces de l'un ou de l'autre de ces éléments dans l'ensemble de son œuvre, mais le plus important reste la liberté avec laquelle ce penseur réunit ces données, en ne s'accrochant à aucune.

La liberté est, par ailleurs, l'idéal auquel il accorde la valeur la plus élevée. Il l'attribue comme caractère primordial à ce qu'il appelle « le regard crétois » sur les questions existentielles : le courage d'envisager l'essence terrifiante du monde avec clairvoyance et sang-froid et d'avancer toujours plus loin, en profitant pleinement de cette vie, en la vivant avec dignité jusqu'au bout, en participant autant que possible « à la transformation de la matière en esprit ». C'est là l'œuvre la plus noble que nous, en tant qu'êtres humains, sommes capables de et appelés à accomplir.

Le corps de Nikos Kazantzaki fut transporté à Hérakleion, où il a été inhumé en dehors d'un cimetière, selon l'exigence de l'église. L'épigramme de sa tombe résume parfaitement la quintessence de sa pensée : « Je n'espère rien, je ne crains rien, je suis libre ». 

Aikaterini Lefka
Janvier 2010

crayon

Aikaterini Lefka enseigne à l'ULg le grec moderne et les rapports entre morale et religion dans l'Antiquité. Elle est aussi chercheur en philosophie à l'Université du Luxembourg et à la Towson University.

 


 

Une référence utile : http://kazantzaki.free.fr ; il s'agit de la section française du site web de l'Association Internationale des Amis de N. Kazantzaki.