Japon : Yoko Ogawa

Discrètement bouillonnante

Ogawa, Yoko c Masaaki Toyoura

Depuis son premier roman traduit en français, Les Abeilles (1995), Yoko Ogawa ne cesse de nous séduire par son univers mystérieux. Le succès de ses œuvres réside sans doute dans la manière de présenter cet univers insolite, presque dégénéré. Douce folie pourtant parfaitement maîtrisée, sens de l'observation à la lucidité surprenante, forgent son style raffiné, qu'on pourrait comparer à de minutieuses réalisations de dentelles.

Biographie

Yoko Ogawa est née en 1962 à Okayama. En 1988, elle obtient le prix Kaien-Shinjin pour La désagrégation du papillon. En 1991, la nouvelle La Grossesse devient un événement de l'année en décrochant le prestigieux Prix Akutagawa. En 2004, La formule préférée du professeur, couronné du prix Yomiuri-Bungaku, a prouvé la place incontournable qu'occupe Ogawa dans la littérature japonaise contemporaine. Elle habite actuellement Ashiya, près d'Osaka.

Photo © Masaaki Toyoura

Silencieusement éloquent

Le style retenu d'Ogawa, reconnaissable entre mille, est de fait immuable depuis ses débuts. C'est le fruit d'une perception subtile du monde, d'une mémoire abondante des petits détails de la vie quotidienne, et - ce qui est le plus caractéristique chez Ogawa - d'un goût presque obsessionnel pour l'acte de classer, de cataloguer des faits, des objets, et même des sentiments. En d'autres termes, dans l'ouvroir Ogawa, tous éléments - que ce soient nature, outils, animaux, voire des états changeants ou immuables de sentiments humains - sont recueillis sur le même plan et étalés de façon silencieuse, comme un constat, ou comme un procès verbal (La Grossesse). Son style bien tempéré, presque neutre et facile à suivre, ne manque guère de chaleur humaine - bien au contraire, il évoque assez paradoxalement une pulsion émotionnelle. Sous une apparence réservée, se cache (à peine) une volonté bouillonnante.   

Univers d'Ogawa - poison et miel

Les personnages principaux (souvent féminins) sont décrits comme très courageux face à des événements assez graves. La disparition de l'amoureux (Le parfum de glace), la perte de la mémoire (La formule préférée du professeur), la naissance de bébé et la destruction de ses chromosomes (La Grossesse), la mort imminente d'une personne et un soupçon de meurtre (Les Abeilles)..., la liste serait longue, et les héroïnes semblent toutes réussir à garder une apparence de bonne élève, sans exploser ni se rouler par terre. Cette dysharmonie entre un cadre dramatique et le ton presque machinalement maîtrisé du narrateur constitue un élément fondamental de l'univers d'Ogawa.

Amour et haine, admiration et peur, éphémère et absolu

grossesse

La Grossesse (1997) représente déjà la miniature de l'univers d'Ogawa. La narratrice tient un journal où elle rapporte les états de sa grande sœur enceinte. L'attente d'une nouvelle vie n'est pourtant observée que d'une manière distante, presque indifféremment. La narratrice observe l'évolution d'état physique de sa sœur et témoigne de nombreuses crises de nerfs de cette dernière. À côté d'elle, le mari, banal et tendre, a beau essayer de la calmer et la rassurer, toutes ses tentatives tombent à plat. D'où vient ce regard froid ? Est-ce l'amour, ou la haine, qu'elle éprouve pour sa propre sœur ? Et pour son futur neveu ou sa future nièce ? L'orgueil d'une jeunesse qui est (encore) épargnée du tableau réel de la Vie humaine n'est, en vérité, qu'un miroir de la peur pour son futur encore inconnu... ou bien...

L'admiration d'un objet particulier, des chiffres, d'un homme... le fait d'admirer quelque chose ou quelqu'un nous plonge dans un état d'euphorie. Jusqu'à ce qu'on en perde le contrôle... la narratrice dans Le Parfum de Glace (2002) mène une enquête sur son homme bien aimé, sans indice de sa disparition inopinée. Ironiquement, ce n'est qu'en suivant ses traces à travers le Japon et en ramassant les fragments de son identité artistique et personnelle en se rendant à Prague que la narratrice découvre petit à petit qui il a été, qui il a voulu être et qui il aurait pu être. Mais pour qui a-t-il vécu ? Pourquoi est-il parti ? Pour elle ? Pour sa mère ? Pour son frère ? Pour son père ? Pour son premier amour ? Pour son amour des mathématiques ? L'enquête se poursuit...

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