De concert vers l'harmonie ultime

La musique de Tchaïkovski est omniprésente dans Le concert de Radu Mihaileanu. Plus qu'une bande originale, elle emprunte ici l'imagerie de la quête folle d'un chef d'orchestre déchu vers l'harmonie ultime. Une œuvre franco-russe où l'humour et le drame se mélangent majestueusement.

affiche

Il arrivait à Bob Dylan de commencer une chanson en concert sur une tout autre tonalité, sans prévenir ses musiciens. Le temps qu'ils se rendent compte de la catastrophe auditive et explosait un formidable chaos. L'enjeu ? Entendre naître l'harmonie de ce fatras sans nom. La voir émerger petit à petit, se tailler son chemin tranquillement, presque naturellement, à travers cette jungle de bruit et de violence.

Le film Le concert de Radu Mihaileanu peut se résumer à cette quête de « l'ultime harmonie », sacrée et légère, à travers une série de détours rocambolesques. D'harmonie, de grandiloquence, de mélomanie, il en est question puisque le film tourne autour d'une obsession passionnelle et folle autour du très romantique concerto pour violon de Tchaïkovski. 

Andrei Filipov (Alexeï Gouskov), chef d'orchestre du célèbre Bolchoï, est taxé d'ennemi du peuple en pleine représentation du concerto pour violon de Tchaïkovski. Plus qu'une réputation, c'est un rêve, un idéal d'extase par la musique qui se brise ce jour-là. Lui et son orchestre se recyclent et vivent de façon précaire la fin du communisme et le passage au capitalisme. Trente ans plus tard, Filipov, déchu mais culotté, usurpe l'identité du Bolchoï actuel et répond favorablement à une invitation du Théâtre du Châtelet faite au prestigieux orchestre. Il a alors deux semaines pour rassembler un orchestre de plus de cinquante musiciens et se rendre dans la ville lumière où il exige d'enfin pouvoir jouer son rêve, ce fameux concerto pour violon qui le hante depuis trente ans. Une occasion doublement profitable pour lui vu qu'il invite Anne-Marie Jacquet (Mélanie Laurent), qui, sans le savoir, a un lien camouflé avec le drame qui a eu lieu une génération plus tôt.

 

Mise en abîme

Une série de parallèles peuvent être faits entre le personnage de Andreï Filipov et l'imagerie développée autour du fameux concerto. Dans le premier mouvement, on peut y trouver l'emprisonnement, l'espoir, la folie, et enfin la délivrance et l'envol vers la liberté. Liberté grande et majestueuse personnifiée par un violon sur lequel poussent des plumes blanches, tachées de sang au fur et à mesure que le crin de l'archet se débat entre les mailles - ou cordes - du filet. Un oiseau d'une pureté rare virevolte, esquive, s'enlise, s'échappe pour retomber dans les filets avant de s'enfuir pour de bon et de respirer à plein poumons, pour hurler avec un orchestre grandiose, un cri de soulagement et de transcendance libertaire non pas savourée mais dévorée. Cette sérénité qui se dégage peut être comparée à celle que retrouvent Andrei Filipov et les principaux musiciens qui, après plus de 30 ans d'oppression et d'humiliation, arrivent enfin à vivre la plénitude, à jouer...non...à vivre Tchaïkovski. L'allusion à l'oiseau en devient presque explicite quand il raconte à Anne-Marie Jacquet qu'il tentait de trouver l'harmonie ultime, de monter jusqu'au ciel quand, en pleine représentation, le parti lui coupe littéralement les ailes. Il est en effet taxé d'ennemi du peuple. Et son rêve, tel Icare, de se briser sauvagement.

Des traits forcés

Un détail fait sourire mais peut lasser. Les personnages sont extrêmement stéréotypés. Entre GSM de contrebande et caviar russe, deux juifs musiciens ne pensent qu'à leurs affaires. Un tsigane au caractère volubile, survolté, désinvolte, marque son allergie à la docilité et à la rigueur autant qu'un Mozart peint par Milos Forman. Mais à l'instar du jeune effronté, quand il se met à jouer, la musique coule comme naturellement dans ses veines. Elle est alors sensible et sincère, l'âme Tsigane. En parlant d'âme, l'âme slave y est également exagérée, évidemment. Bien sûr, la volonté est de rire des différences entre deux coutumes qui s'entrechoquent, comme chez les Chtis ou dans Les Visiteurs. Il n'empêche que les russes du film sont soit des ours mal léchés, pauvres et affamés, soit des oligarques puissants, maîtres des médias, soit des communistes décongelés d'un sommeil forcé de 30 ans. Ils tombent face à des parisiens dandys ou efféminés, garants de la culture des lumières, habitants d'une ville qui éclaire de son Paris-centrisme arrogant le reste de l'Europe.

Au final, le film est touchant et, quelque part, rassurant. Dès le début, le public se doute qu'il y aura un happy end, faute de quoi, la frustration serait trop grande. Contrairement à d'autres films qui assument mal ces mêmes happy ends, les problèmes rencontrés en chemin n'en sont pas vraiment ou sont tournés dans la plus grande dérision. Les seuls petits bémols du Concert sont donc ces traits forcés, qui œuvrent malgré tout au service du plaisir et de l'humour, et qui permettent de désamorcer en partie la dimension mélodramatique du film.

Philippe Lecrenier
Décembre 2009

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Philippe Lecrenier est diplômé de l'ULg en information et communication à finalité presse écrite et audiovisuelle. Il évolue également au sein du groupe de folk rock Yew.