Cinéma du Québec

Poutine, caribous et sirop d'érable : une bouffée d'air québécois envahira pour la seconde fois les couloirs du cinéma Sauvenière du 9 au 12 décembre prochains. Le rendez-vous est pris à l'occasion de la deuxième édition liégeoise du festival « Cinéma du Québec ».

Ce festival, organisé par la Société de développement des entreprises culturelles (Sodec) du Québec, connaît son origine à Paris. « Il y a deux ans, nous avons accepté d'accueillir une partie de la décentralisation du festival parisien. Il est évident que nous ne pouvions refuser une proposition pareille. D'abord parce que les Belges et les Québécois se sentent très proches les uns des autres mais aussi parce qu'ici, aux Grignoux, nous défendons ce type de productions depuis longtemps » nous explique Michael Ismeni, animateur aux Grignoux en charge du festival.

À cette occasion, nous avons rencontré le professeur Jean-Marie Klinkenberg, ancien président du Centre d'Études québécoises de l'Université de Liège et titulaire du cours de culture québécoise de la Faculté de Philosophie et Lettres.

Jean-Marie Klinkenberg,  vous avez été, il y a vingt ans, à l'origine de l'organisation du plus gros festival de films du Québec en Belgique.

Il existe effectivement une tradition de synergies avec les Grignoux et le Centre d'Études québécoises. En 1986, j'étais le président du Centre et cette année-là, j'avais pu m'entourer d'une équipe permanente de trois attachés. En plus des activités du Centre, notre équipe (et plus particulièrement Patrick Leboutte) a organisé le plus grand festival de films québécois jamais organisé hors Québec : on a montré plus de cinquante films en partenariat avec le cinéma Le Parc. Le festival prit une telle ampleur qu'il a connu une décentralisation sur Bruxelles, et a eu un pendant scientifique avec un colloque et une publication sur les cinémas francophones.

Pendant longtemps, au niveau international, les productions québécoises sont restées dans l'ombre du cinéma américain et des productions françaises. Il n'empêche que de nombreuses œuvres marquantes ont vu le jour depuis les débuts du cinéma québécois. Quels sont les films que vous retiendriez ?

ordres

 

Le film de Michel Brault intitulé Les ordres m'avait beaucoup marqué. Il raconte les événements d'octobre 1970 quand, suite aux revendications et actes terroristes du Front de Libération du Québec, le gouvernement canadien a adopté la Loi des mesures de guerre pour rétablir l'ordre. Cette mesure a mené à l'arrestation arbitraire d'environ 500 personnes, contre lesquelles aucune accusation ne fut portée. Le film ne fait pas une analyse politique au sens strict du terme mais parle de cet événement à travers le destin de cinq personnages qui ont été emprisonnés. C'est sa grande sobriété qui a fait que ce film a beaucoup marqué. On peut d'ailleurs remarquer que l'économiede moyens est un point commun entre le cinéma belge et le cinéma québécois. Les frères Dardenne, par exemple, n'ont réellement réussi à percer que lorsqu'ils ont décidé de revenir à un style plus sobre. C'est un peu ce qui faisait la qualité du cinéma québécois aussi. Les ordres est un film en noir et blanc, sans musique ; et c'est cette simplicité de la mise en scène qui nous permet de goûter à la qualité du montage et surtout à l'impact que peuvent entraîner les petits détails. Cela permet également de faire ressortir la violence du récit. Ce film a d'ailleurs reçu le prix de la mise en scène au Festival de Cannes en 1975. 

 

 

 

Dans un autre genre, Les raquetteurs (http://www.onf.ca/film/Les_raquetteurs/) est un film qui marque un tournant dans l'histoire du cinéma québécois. Ce court-métrage a été reconnu comme étant la première œuvre à jeter un nouveau regard anthropologique sur la société en capturant un phénomène social anodin : une convention de raquetteurs se déroulant sur asphalte. Aujourd'hui, lorsque l'on évoque l'origine du bon cinéma québécois, ce sont d'abord les documentaires, les docu-fictions, le documentaire militant et ce qu'on a appelé « le cinéma direct » (dont le film Les raquetteurs a été considéré comme le précurseur) qui sont mentionnés.

raquetteurs
 image extraite du film Les Raquetteurs

J'avais également beaucoup aimé Elvis Graton dont on m'avait vanté la drôlerie mais en fait, ce qui m'avait frappé dans ce film, c'était justement son côté très tragique.

Caffè Italia qui porte sur les Italiens de Montréal était également très intéressant.

Denys Arcan, le réalisateur du Déclin de l'empire américain et de sa suite, 18 ans plus tard Les Invasions barbares est sans conteste un des réalisateurs québécois les plus connus sur la scène internationale. Comment peut-on expliquer un tel succès ?

invasions

Je crois que ces deux films ont eu beaucoup de succès parce que Denys Arcan avait mis en scène la génération des baby-bommers. À l'époque, c'étaient eux qui, au Québec, détenaient le pouvoir et l'argent. C'était une couche de la population qui était très médiatisée et qui avait un côté très narcissique. 18 ans plus tard, lorsque la suite est sortie au cinéma, une suite qui reprenait les mêmes personnages, tout le monde l'attendait impatiemment. Il était évident que cette suite, quelle que soit sa qualité, aurait eu de l'impact parce que cette fois, c'était le déclin des baby-boomers qui était mis en scène. Le film abordait des questions de société telles que le fossé intergénérationnel, l'euthanasie... on touchait directement le destin personnel de cette génération qui était en train de céder sa place...

Selon vous, qu'est-ce qui fait la particularité du cinéma québécois ?

Je pense que dans le cinéma québécois, on retrouve toujours ce que l'on peut qualifier de « petit tragique ». Rien n'est jamais vraiment truculent, il subsiste toujours une certaine réserve et c'est chaque petit détail qui rend la création tragique, ambigüe et amusée. Cet aspect tragique de la personnalité des Québécois est peut être lié à leur histoire, et, même si aujourd'hui, leur passé religieux n'est plus très souvent mentionné, il subsiste une conscience de l'aliénation, du comportement du pécheur. Des pensées telles que : « on est là pour offrir du bonheur aux autres » ont évolué et se sont transformées, dans les années 60, en « nous aussi, nous avons droit au bonheur » Malgré tout, bien que les Québécois semblent user d'une expression libérée, il subsiste en eux, une impossibilité à être totalement libérés et c'est ce paradoxe qui entraîne le tragique. Cependant, je dirais également qu'en littérature comme dans la vie courante c'est l'utilisation de l'ironie qui permet au Québécois de corriger son sens du tragique. 

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