Remedios Varo, voilà un nom qui risque fort de ne pas vous évoquer grand-chose. Personnellement, je l’ai entendu pour la première fois lors d’un séjour au Mexique. La collègue qui m’accueillait avait un grand livre sur le rebord de sa bibliothèque, dont je m’approchai par curiosité (ah, le pouvoir attracteur du Livre…). Surgirent alors devant mes yeux de superbes peintures… dont je n’arrivais pas à me détacher. La couverture refermée me donna la source de l’énigme : Remedios Varo. Extrêmement connue au Mexique, Remedios Varo n’est pourtant pas une artiste locale comme Frida Kahlo. Elle est en fait une Espagnole réfugiée outre-Atlantique durant la seconde guerre. Son style est aussi très différent des choix ethniques alors en vogue là-bas : je le décrirais comme un croisement entre Magritte (pour les thèmes) et Jérôme Bosch (pour le dessin). Vous l’aurez compris : Varo est une surréaliste qui ne peut que séduire les Belges !
Il n’existe pas beaucoup de livres sur cette artiste. J’en ai déniché un en anglais, qui comporte de nombreuses illustrations et informations – le tout avec la qualité appréciable d’être assez agréable à lire. Le texte, en 8 chapitres, est organisé de manière chronologique. Il commence par sa naissance, en 1908, et ses premiers croquis. Encouragée par sa famille, elle entre à l’Académie des Beaux-Arts et se tourne très tôt vers le surréalisme, qui lui permet d’exprimer toute son imagination. Elle se rend alors à Paris, comme Dali, Miro, et Picasso avant elle, puis retourne à Barcelone. Avec la guerre civile, les peintures de Varo deviennent sombres, échos des attaques fratricides que connaît le pays. Au milieu de cette ambiance malsaine, un tournant inattendu se produit : elle succombe à la passion, un émoi amoureux pour le surréaliste Benjamin Péret qui l’emmène à Paris en 1937. Elle ne pourra plus retourner en Espagne – Franco, victorieux, a fermé les frontières. Pire : la guerre mondiale la fera fuir plus loin encore, au Mexique, en 1941. Elle y gagne sa vie, comme illustratrice et dessinatrice, avant que le succès n’arrive enfin, début des années cinquante. Elle meurt peu après, en 1963, au faîte de sa gloire.
Au-delà de la simple évocation chronologique, certes indispensable, les huit chapitres du livre fourmillent de précieuses informations – extraits de lettres permettant de mieux comprendre la personnalité de Varo ou mise en perspective de sa vie et de ses œuvres pour mieux appréhender ses thèmes de prédilection (les transformations, les voyages) et déchiffrer ses influences. Le livre n’évite pas non plus les choses moins évidentes, plus problématiques, comme les (non-)décisions politiques ou la faible place laissée aux femmes dans le cercle surréaliste français (muses, d’accord ; artistes d’égale qualité, peu leur chaud…). Le livre se clôt sur des notes, la liste de ses expositions, et des références bibliographiques – on peut juste déplorer l’absence de la liste complète des œuvres de Varo, qui manque cruellement. On se console avec les peintures, envoûtantes, qui s’étalent en pleine page. Le souci du détail y est évident, la palette s’attarde rarement sur les couleurs clinquantes, et les figures, souvent hiératiques, rappellent les visages androgynes des primitifs flamands – un décalage assez piquant avec les thèmes, modernes, qui s’intéressent souvent à la science (gravité, atome, connexion permanente avec l’Univers) dans une construction qui fait réfléchir tout en émerveillant. Esprit libre dans un monde en émoi – et peu habitué à des femmes de sa trempe, Varo et ses œuvres fantastiques méritent vraiment le détour… N’hésitez pas à vous y promener… Ce livre est une occasion, parmi d’autres, de la découvrir.
Yaël Nazé
Janet A. Kaplan, Remedios Varo. Unexpected journeys, Abbeville Press Publishers, 2000, 288 p.< Précédent I Suivant >
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