Cinq générations au service de la langue wallonne
Il y a les gaufres liégeoises, le sirop de Liège, le pèkèt dès houyeûs… et l’Atlas linguistique de la Wallonie ; élaboré dans notre Alma mater, l’ALW n’a pas d’équivalent en dehors de Liège. L’Alas linguistique de la Wallonie, c’est un patrimoine linguistique fabuleux, l’équivalent de 300 dictionnaires dialectaux assemblés qui dialoguent entre eux et s’éclairent mutuellement ; mais c’est aussi une méthode exclusive, transmise depuis cinq générations de chercheurs.

Qui sont ils ? Je les présenterai en deux mots, en disant ce qu’ils ont fait pour l’ALW.

DictionnaireHaustTout d’abord, il  y a notre maître à tous, Jean Haust, le génial inventeur de l’ALW. C’est lui qui a conçu le projet, dans la ligne de l’Atlas linguistique de la France (ALF) de Jules Gilliéron et Edmond Edmont (1902-1910), œuvre qu’il voulait approfondir et dépasser. C’est lui aussi qui a conçu le questionnaire (2100 questions de 4500 mots ou formes), qui l’a posé ou contrôlé dans plus de 200 villages, qui a recopié les données sur des fiches. Enquêteur infatigable, le premier professeur de dialectologie de l’ULg est aussi l’inventeur du modèle original de l’ALW : non pas des formes simplement transcrites sur des cartes (ami lecteur, débrouille-toi pour les comprendre !), mais des données expliquées, dans ce qu’en jargon on appelle une «notice», dont le centre est le «tableau» bien rangé de toutes les formes recueillies et dont la carte, interprétative, présente ce qui a été compris d’une manière très lisible. Jean Haust, mort en 1946, n’a pas eu la chance de voir paraître le premier tome de l’ALW, mais les articles échantillons qu’il a fait paraître pour montrer l’intérêt de l’entreprise avaient déjà tous les ingrédients et le savoir-faire du futur atlas. Les dialectologues et les wallonisants en général peuvent être fiers de ce père de la dialectologie wallonne, auteur d’une œuvre variée, abondante et remarquablement solide ; les Liégeois vénèrent tout particulièrement son fameux Dictionnaire liégeois (1933), modèle des glossaires dialectaux.

Jean Haust eut trois élèves qui poursuivirent son œuvre dans des directions différentes. Louis Remacle succéda à son maître comme professeur de dialectologie et comme directeur de l’ALW. C’est à lui que l’on doit les deux premiers volumes, qui sont le portail de l’œuvre : un volume qui explique les principales particularités phonétiques de notre paysage dialectal, si remarquablement différencié entre ses variétés wallonnes, picardes, gaumaises et champenoises (celles-ci dans quelques villages au sud de Bouillon) ; un autre qui explique les principales formes grammaticales. L’apprenti dialectologue, comme le rédacteur chevronné, ne peuvent se passer de recourir à ces travaux magistraux, de même qu’à la Différenciation dialectale (1992) du même auteur, qui est la grammaire historique de nos parlers.

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Photo prise lors d’une enquête menée par Élisée Legros (premier à gauche) et Louis Remacle (premier à droite), à Stoumont en 1947.© SLLW

Alors que le deuxième disciple de Haust, Maurice Piron, devenait le spécialiste de la littérature dialectale wallonne (il est l’auteur de la belle Anthologie de la littérature wallonne, 1979), le troisième, Élisée Legros, que l’on dit le préféré du maître, étant classique tout comme lui, prit le chemin de l’ethnographie et du folklore. Il dirigea de nombreuses enquêtes au Musée de la vie wallonne, qu’il publia dans le Bulletin des enquêtes. C’est ici qu’il faut noter qu’un dialectologue ne peut être seulement un spécialiste des mots, mais qu’il doit y associer la connaissance des choses que désignent les mots (selon la célèbre formule allemande, Wörter und Sachen). Élisée Legros publia le premier volume de l’ALW consacré à un secteur du lexique propice à l’observation du folklore, les phénomènes atmosphériques et les divisions du temps (tome 3) ; il avait aussi presque achevé la rédaction d’un autre volume, le premier d’un ensemble consacré à la ferme, la culture et l’élevage (tome 9), mais mourra avant de pouvoir le publier. Directeur d’enquêtes, donc homme de terrain, rédacteur de l’ALW, Élisée Legros fut aussi professeur à l’ULg, où il enseigna le folklore.

Louis Remacle eut pour élève Jean Lechanteur, qui effectua sous sa direction une thèse consacrée au vocabulaire de la maison (qui fournira la matière du tome 4). L’un des apports particuliers de l’œuvre de Jean Lechanteur réside dans ses enquêtes dans les archives de l’Ancien Régime ; écrites en français, celles-ci n’en contiennent pas moins de nombreux particularismes, dont beaucoup sont des emprunts au wallon. Jean Lechanteur a rassemblé une magnifique collections de matériaux issus des notaires liégeois, dont il faut souhaiter la publication. Dans le cadre de l’ALW, il a poursuivi la rédaction de la matière lexicale relative au vocabulaire domestique (tome 5) et a édité, avec deux collaboratrices, le tome 9, sur lequel je vais revenir.


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