Jacques Roubaud, Ode à la ligne 29 des autobus parisiens

RoubaudJacques Roubaud aime Paris, ses rues et ses transports en commun. De 2005 à 2011, il a systématiquement emprunté la ligne 29 pour écrire ce long poème (environ 2500 alexandrins), à raison d’une strophe par intervalle entre deux arrêts. Il décrit, disserte, digresse, évoque l’histoire, instruit, observe, vitupère parfois, s’adresse au lecteur et regrette le temps passé. Poème qui court et serpente (de nombreuses parenthèses, imprimées en couleurs diverses, s’imbriquent vertigineusement), qui mêle tous les tons, avec désinvolture. On y trouve à la fois une certaine complexité — l’orthographe, notamment, y est volontairement mise à mal, par un souci de respect radical du principe de la rime pour l’œil — et une source de grand plaisir poétique, pour peu que l’on aime la poésie classique et la modernité, l’alexandrin et la poésie des petites choses, la poésie savante et l’écriture assouplie. À déguster, par exemple dans un autobus.

 

Notre conducteur a     vec ardeur accélère
À peine avons-nous lai     ssé le pasteur wagnère
Derrière nous que de     beaumarchais le tronçon
Qui nous échoit est par     couru hé le friçon
De la vitesse fût     tel que nous n’eûmes guère
Loisir de regarder,     prendre note. que fère
Pour rendre compte? mon     souvenir est confuts
Ma cervelle brouillée     à cause des raffuts
Automobiles, n’ya-     t-il donc rien qui mérite
D’être signalé ho     lecteur? il s’en irrite
Interpelle l’auteur     “tu pourrais dire au mouin
Si tu n’étais pas em     poté plus qu’un babouin”
Le lecteur va se pren     dre un’ baff’ s’il ne fait gaffe
“Cet endroit est un pa     radis pour photograffe
Un bon siècle déjà     que cipi-ère y phie
Le premier magasin     à la photographie
Voué. n’aurais-tu pu     nous en parler? peut-être
L’ignores-tu?” Je vais     bientôt l’envoyer pêtre!
Il reprend, l’obstiné     “et le pasteur wagner?
Tu glisses sur son nom.     allons, un peu de ner
F! de le saluer bien bas     n’était-ce pas l’occase
Lui qui vers 1900”    Voyez qu’avec emphase
Le menton en avant     il prononce le non
“Fut comme le bras droit     de ferdinand buisson
Combattit pour dreyfus     et l’école laïque
Cette lutte vous la     trouvez trop archaïque ?”
Je ne lui réponds pas.     il sort de l’autobus
Et du trottoir me toise     , à la bouche un rictus.

 

Gérald Purnelle

 Jacques Roubaud, Ode à la ligne 29 des autobus parisiens, Éditions Attila, 2012.

 

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