Tous les recueils du poète argentin Juarroz portent le même titre et sont numérotés. Les derniers traduits en français sont les Quatorzième, Quinzième et Dixième poésie verticale.
Dans cette poésie, le monde, le langage, la pensée et le moi sont conçus comme un espace dans lequel se situe le sujet, en un point où se recouvrent le moment présent et le temps de l’écriture. Celle-ci sert à nommer les contradictions du réel, sans nécessairement chercher à les réduire. Le poème parvient, comme par magie, à réduire les trois dimensions à une seule, sans les abolir. Juarroz n’explique pas le monde, mais il nous rend familière son étrangeté ; il rend intelligible la condition de l’homme. Sa poésie nous situe dans un vide, mais aussi dans un équilibre perpétuel. Chaque poème est un moment choisi où l’esprit peut jouir d’une réflexion proposée par le poète.
Le regard unit et sépare,
comme un bras qui se tend vers quelque chose.
Et comme le sang aussi,
qui par ailleurs est un autre regard.
D’autre part, nous ne savons pas où est ce qui importe,
si c’est à un bout ou à l’autre de ce fil intangible,
puisque même la lumière joue sur deux tableaux,
devant et derrière l’œil qui regarde.
Mais peut-être plus que le fait qu’il unisse ou sépare quelque chose
c’est le regard en soi qui importe,
même si aux deux extrémités il n’y a rien
ou même s’il n’y a quelque chose qu’à une seule extrémité.
*
Calquer l’infini
sur la vitre de la fenêtre,
comme on calque une branche ou une plume,
avec le papier de soie de notre fugacité.
Calquer ensuite une branche ou une plume
sur cette même vitre,
comme on calque l’infini,
avec le papier de soie de nos yeux grands ouverts.
Superposer ensuite les deux calques
jusqu’à ce que tous deux coïncident parfaitement.
Si nous continuions à calquer,
sur la même vitre, de nos yeux grands ouverts,
peut-être tout coïnciderait-il avec tout,
la pleine lune et la décroissante,
la page blanche et l’écrit,
le fugace et l’éternel.
*
Un lieu ne se livre
qu’à celui qui s’y est senti seul.
Une ville, une forêt ou le néant.
Gérald Purnelle
Robert Juarroz, Dixième poésie verticale, Corti, 2012.
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