Pier Paolo Pasolini, Sonnets

PasoliniPasolini poète est plusieurs fois mis à l’honneur par l’édition française, ces derniers mois, et on le doit en grande partie à l’engagement constant de René de Ceccatty. Deux recueils excellemment traduits par lui ont paru récemment ; ils permettent d’aborder l’œuvre poétique par les deux extrémités de la vie de l’auteur. Le premier (Adulte ? Jamais) consiste en un choix de poèmes de jeunesse (1941-1953, Pasolini a entre 19 et 21 ans quand il les écrit), le second est une suite de sonnets d’amour datant des débuts de la cinquantaine (1971-1972), quatre ans avant la fin tragique du poète.

Ce qui frappe en comparant les deux ensembles, c’est à la fois la constance d’une voix et son évolution. Comme tout grand poète fortement engagé dans le monde où il vit, le jeune Pasolini mêle l’intime, le souvenir, le deuil, avec l’extase devant le monde (les paysages de son Frioul natal) et le regard critique et mobilisé contre la société et pour l’homme.

Les sonnets, quant à eux, expriment la douleur ressentie après le départ d’un jeune amant. S’ils ne sont pas sans évoquer ceux que, sur un thème semblable, Shakespeare écrivit près de 400 ans plus tôt, ils en transforment radicalement le modèle : ici l’écriture est sèche, cruelle, volontairement prosaïque, au plus près de la douleur et de la colère.

Dans tous ces poèmes, anciens ou tardifs, le vers de Pasolini se signale par la rapidité et la fluidité de la phrase qu’il lance et prolonge : la parole de Pasolini est directe et brûlante, et son prosaïsme, loin d’être un défaut, traduit superbement cette urgence de dire. Chaque poète possède sa façon d’atteindre à l’intensité ; celle de Pasolini est des plus vivante.

Extraits :

À mon frère

 Nous avons défait les siècles
En nous incarnant au monde,
Nous découvrant un corps
Infini, mais unique.

L’ombre s’est refermée
Derrière notre dos,
De rien, nous sommes devenus
Des hommes pour un temps immense.

Les siècles sont un rêve
Devant un de nos ongles.
Nous sommes chair à jamais.
Notre mère était vierge.

Aussitôt la mort limite
Le temps, la lumière, le soir.
Une petite feuille tombe,
Le monde entier se meurt.

Autour de ton corps
Tout prend la forme du néant :
C’est où finit ton corps
Que commence le ciel.

Un ciel triste commence,
Jamais vu, jamais conçu,
Là où tu n’es pas,
Il te touche les cheveux
   

Voilà… le soleil contre le mur
De la maison d’en face presse une sombre
Cuisante lumière, qui, par reflet, envahit
Ma chambre. Le don du réveil
Est déjà jauni, ancien comme un jour
De pluie dans quelque lourde ville
Du Pô avec des pierres superbes
Et des jardins et des banlieues
Où, par ces vieilles années, les matins
Étaient frais comme ce qui meurt déjà.

*

Quand vous êtes près de moi je suis malheureux —
En votre présence je suis comme fou —
Ma douleur est meurtrière et suicidaire,
Et visiblement je vous le reproche —

Je ne supporte plus rien de ce qu’on dit
Ou l’on fait autour de moi — une étreinte
Pour rire, une caresse sur vos boucles
Est inconcevable — vous êtes toujours un gamin

Et je mourrais de l’envie de le faire —
Quand vous êtes loin, je peux au contraire
Supporter un peu plus de vivre encore —

Je préférerais peut-être penser
Que vous n’êtes plus de ce monde — qu’a jailli
De mes yeux un rire qui est refusé à mon amour.

Gérald Purnelle

 

Pier Paolo Pasolini, Sonnets, traduction par René de Ceccatty, Poésie/Gallimard, 2012.
Pier Paolo Pasolini, Adulte ? Jamais, traduction par René de Ceccatty, Points-Seuil, 2013.

 

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