Yannis Ritsos, Le Chant de ma sœur

RitsosRitsos, un des plus grands poètes du 20e siècle et peut-être le plus grand parmi les Grecs, a produit une œuvre poétique abondante, marquée par l’engagement, la douleur nationale et les multiples enfermements pour raison politique, mais qui n’oublie jamais de chanter. En traduction, on lira de lui Le Mur dans le miroir (Poésie/Gallimard), et surtout les grands recueils de la déportation : Pierres, Répétitions, Grilles et Journal de déportation (Ypsilon éditeurs).

Le Chant de ma sœur est plus ancien : publié en 1937, il consiste en une longue adresse à la sœur du poète, Loula, tombée dans la folie après la ruine de la famille Ritsos et la mort de la mère. Dans ce poème d’amour, de deuil et de douleur, le frère ravive pour l’esprit absent de la sœur les souvenirs de l’enfance et les épreuves traversées. Étonnamment, le dénuement face à la vie et à l’adversité ouvre la voix du poète : ombre et clarté alternent à la surface des mots. Nourri de tendresse, mais aussi de conscience politique, le poème de Ritsos vibre d’une émotion retenue mais sensible : la perte et l’espoir se disputent sobrement les phrases lumineuses du poète. Nostalgique et sourdement pessimiste, il s’achève pourtant sur une superbe invocation au soleil, et le poète conclut : « Aucun lien ne peut enchaîner mes ailes à la terre. » Il faut lire, et même relire deux ou trois fois de suite, ce poème déployé comme une longue symphonie empreinte d’un amour fraternel qui est aussi universel.

Extraits :

Je recueillais alors
des coquillages brillants
et des galets multicolores
sur le rivage de notre île
pour voir tes yeux
sourire
et pour ensorceler ton cœur
qui se fondait sans bruit
dans la détresse du monde.
Mais tu ne savais pas rire.

[…]
Avec quelle froideur me regardent ce soir
les voix et les couleurs.
Le couchant traîne sa salutation dorée
sur les épaules des choses.
Que veut-elle cette lumière rose ?
Pourquoi cette exhibition
de la solennité indifférente ?
Pourquoi cette provocation à mon égard ?

[…]

 

 

Ô, ces couchants
qui doutent également
et de la nuit
et du jour
et balancent impondérables.
Au-dessous,
la mer cendrée
pressent le bleu frisson
qui s’attarde
sur les frêles épaules
des mouettes.
Les mâts dans la pénombre
rident l’horizon
immobiles
dans le prélude au mouvement.

[…]

Souffle.
Dilatation qui absorbe.
J’obéis au commandement.
J’ouvre les bras et j’accueille
l’irrésistible.
Les beaux visages
des femmes défilent
— lumineux cortège
sur ma chair.

 

Gérald Purnelle

 

Yannis Ritsos, Le Chant de ma sœur, traduit du grec par Anne Personnaz, Éditions Bruno Doucey, 2013, 89 p.

 

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