Un âne, qui aime les chardons et les confond parfois avec les hérissons, un père incrédule et un garçon rêveur et imaginatif, Philémon, il n'en faut pas davantage à Fred pour nous emmener dans des aventures absurdes, où humour et poésie se disputent la scène. Le héros se retrouve régulièrement à devoir rejoindre le second A du mot « Océan Atlantique » pour aller y aider un ami ou pour y retrouver des créatures extraordinaires auxquelles il s'est attaché. Mais le voyage n'est pas simple, car il faut à chaque fois trouver un passage différent et il lui arrive d'aboutir sur une autre lettre. Chaque lettre est un monde à part, où les prisons sont des zèbres, où les critiques aquatiques tentent d'établir un ordre littéraire, où de gigantesques mains sont affectueuses, où les maisons grandissent comme des plantes tropicales, où les lunes sont multiples. C'est souvent des jeux de consonances ou des jeux de mots qui sont à l'origine des délires poétiques dans lequel l'auteur nous conduit. Les dessins nous replongent dans les années '70, dans ce que cette époque a de mieux, mais les histoires, décalées, ne sont en aucune manière datées. Elles nous redonnent envie de rêver et de voir notre monde sous l'angle de l'absurde.
Anne Staquet
Fred – de son vrai nom : Othon Théodore Aristides – est décédé le 2 avril 2013, à l’âge de 82 ans. On n’aura pas attendu sa mort pour lui rendre hommage. En 2011, Dargaud entreprend la publication de plusieurs coffrets rassemblant œuvres majeures et documents inédits – assortis d’une biographie par M.-A. Guillaume. En janvier 2012, le festival d’Angoulême consacre à l’auteur de Philémon une grande exposition rétrospective. Les influences littéraires de Fred (Edgar Allan Poe ou Lewis Carroll, entre autres) accompagnent ses investigations dans le domaine de l’absurde – domaine dont il semble maîtriser la logique mieux que quiconque au sein du 9e art. Refusé en 1966 par le journal Spirou, à cause d’un dessin mal assuré (« il dessine comme un cochon ») et d’un scénario sans tenue, le premier épisode des aventures de Philémon aurait pu ne jamais voir le jour si Goscinny ne s’était pas montré intéressé à publier ces pages dans la revue Pilote. Philémon est un adolescent rêveur aux pieds nus et aux larges épaules, principal protagoniste d’aventures rocambolesques sur les lettres de l’océan A.T.L.A.N.T.I.Q.U.E, des îles hallucinantes repérables sur toutes les cartes du monde, quelque part entre l’Afrique et l’Amérique du sud. Attention aux pièges, labyrinthes et passages : le A en particulier offre à ses visiteurs des absurdités réjouissantes (lampes naufrageuses, bateaux embouteillés, double soleils levants, etc.). Malgré son tempérament de clown triste, l’auteur de ces histoires oniriques, hantées par une poésie décalée, semble en perpétuelle ébullition et nous régale de son humour féroce. Atypique et faussement naïf, le dessin de Fred est presque sale, rude en tout cas. Il malmène l’œil habitué au classicisme de la ligne claire. Mais pour ceux qui s’y accrochent, le voyage est étourdissant.
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