Avec ce livre dont il considère que toute sa vie en a été la préparation, John Eccles se lance dans une tentative audacieuse de définir la spécificité de l’homme comme Pierre Teilhard de Chardin s’y était déjà attelé en 1955 avec Le Phénomène humain. Inutile de dire que ces idées ont de moins en moins d’avocats dans la communauté
scientifique actuelle. L’emploi du terme de « création » de la conscience inciterait les chercheurs d’aujourd’hui à considérer Eccles avec dédain en le qualifiant de néo-créationniste. Et pourtant… Un des plus grands philosophes des sciences du 20e siècle, Karl Popper, introduit ce livre avec une préface édifiante : « Je considère ce livre comme unique. Jamais auparavant, un neurophysiologiste n’avait présenté ainsi l’une des questions les plus importantes de toutes : l’évolution du cerveau humain et de la conscience de l’homme (…). Tout cela est inscrit dans le cadre de l’évolution darwinienne et tient compte des derniers développements critiques du darwinisme. Le résultat en est un panorama détaillé de notre histoire d’un intérêt encore jamais atteint ». En 1977, Eccles et Popper avaient rédigé
ensemble The Self and Its Brain (Springer). Dans le livre présenté ici, l’auteur montre comment, avec l’apparition de Homo sapiens sapiens il y a environ 70.000 ans, une évolution culturelle et spirituelle a pris le relais de l’évolution biologique et naturelle. Le court chapitre où il distingue intelligence et imagination créatrice est passionnant. Eccles
prend le parti de dire – et cela peut se discuter – que l’avènement de chacun de nous en tant qu’être auto-conscient unique (le « moi ») se place à tout jamais au-delà des possibilités d’explication par la science. Il conclut son livre en disant que l’évolution biologique s’est transcendée elle-même en fournissant une base matérielle – le cerveau humain – à des êtres vivants conscients d’eux-mêmes dont la nature spécifique est de chercher espoir et sens dans leur quête d’amour, de vérité et de beauté.
Hommage est rendu ici à Sir John Carew Eccles (Australie) qui nous a quittés le 2 mai 1997 il y a juste 17 ans aujourd’hui. Comme médecin-chercheur, je considère Évolution du cerveau et création de la conscience comme un des mes livres de chevet, au même titre que La Statue intérieure de François Jacob.
Vincent Geenen
Johne Eccles, Évolution du cerveau et création de la conscience, Flammarion, Coll. «Champs», 1993, 368 p.
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