Avec le premier roman du jeune sexagénaire Marcel-Sylvain Godfroid, un vent dumasien souffle sur nos Lettres. En effet, la démarche adoptée par ce journaliste et scénariste n’est pas sans évoquer le principe énoncé par le père des Trois mousquetaires : « On peut violer l’Histoire, à condition de lui faire un enfant. » À l’instar du Comte de Monte-Cristo, Le Bureau des reptiles s’ouvre par l’entrée d’un bateau au port. Mais la cargaison de L’Albertville, qui arrive d’Afrique en ce 29 juin 1897, est autrement exotique – et dérangeante à l’esprit contemporain – que celle du Pharaon… Outre d’étonnants spécimens d’animaux et de volatiles bigarrés destinés à garnir les cages du plus grand zoo d’Europe, ses cales recèlent une attraction très convoitée : les Congolais, représentants des diverses ethnies de leur contrée d’origine, qui seront exhibés au public à Tervuren dans le cadre de l’Exposition coloniale. Voilà en tout cas la nouvelle que nous apprend l’article du quotidien L’Étoile, reproduit en incipit du roman. La prose de son signataire, dissimulé sous le pseudonyme de Caton, vibre de la curiosité fébrile qui s’empare du peuple belge à l’idée d’enfin pouvoir éprouver de visu l’authenticité de la sauvagerie noire. Le discours est également galvanisé par la ferveur qui se doit de contaminer l’opinion dès qu’il s’agit d’approuver la noblesse du projet colonial, porté par le seul génie civilisateur de Léopold II. C’est donc avec un art consommé de l’écriture apocryphe que Godfroid lève le rideau sur la tragédie qu’il va dérouler sous nos yeux. Le pacte – périlleux mais tellement stimulant pour l’imaginaire – qui lie vérité et fiction se noue d’emblée, avec une aisance déconcertante.
Frédéric Saenen
Marcel-Sylvain Godfroid, Le Bureau des reptiles, Weyrich, Collection « Plumes du coq », 2014, 534 pp.< Précédent I Suivant >
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