René Dalize fait partie des talents fauchés par la Première Guerre mondiale. L’insatiable redécouvreur qu’est Éric Dussert, dans la postface très fouillée qu’il lui consacre, définit Dalize comme un « journaliste, gentilhomme d’aventures, marin de la Royale, fumeur d’opium et garnement littéraire ». L’épitaphe est belle. Il paraît également utile de mentionner, pour donner la mesure de l’individu, qu’il fut rien moins que le dédicataire des Calligrammes d’Apollinaire et l’introducteur de la consommation de l’opium dans la société lettrée du début du siècle. Avec ce personnage haut en couleur disparaissait aussi sans doute le romancier anglais de langue française le plus prometteur de sa génération. En effet, son Club des neurasthéniques n’est pas sans évoquer ces cercles de misanthropes, à la mise très étudiée et aux projets généralement macabres, tels qu’on en trouvait sous la plume des plus éminents écrivains de Sa Majesté la Reine Victoria. Tous les éléments sont réunis ici pour créer un cénacle d’excentriques absolus : l’origine (le club ne rassemble que des « nés fatigués » et de blasés blasonnés) ; la fortune qui assure la suprême position de confort en ce monde, celle de rentier ; le rejet du monde et de ses agitations stériles ; le dégoût rédhibitoire envers « l’espace » et ses corollaires exploratoires, soit toute forme de voyage ou de déplacement. C’est pourtant cette compagnie de larvaires dorés sur tranche qui, toutes affaires cessantes, va décider de fuir la civilisation, menacée par une galopante épidémie de peste. L’initiateur du mouvement – exceptionnel, unique même dans les annales de la vie de cette société plus discrète qu’ésotérique – n’est autre que son secrétaire, Mercoeur, qui est amené à vivre davantage de péripéties en une journée qu’en toute une vie. Un duel qui débouche sur un serment d’amitié, une mission d’importance confiée par l’oncle qui jadis le déshérita, l’idée enfin de substituer par une croisière au pied levé le sabordage collectif que s’étaient promis d’accomplir nos huit blasés crépusculaires…
Frédéric Saenen
René Dalize, Le Club des neurasthéniques, L’Arbre vengeur, 2013, 330 p.< Précédent I Suivant >
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