Jeanne Susplugas : Très chères dépendances

Trafic d’influences

C’est avec une acuité presque documentaire que Susplugas explore encore le sujet du trafic de médicaments, de Paris à Pattaya. «Je travaille souvent avec des psychiatres de Sainte-Anne qui m’ont ouvert les yeux sur l’énorme trafic de médicaments à Paris, explique-t-elle. Le matin, dans les caniveaux, on trouve des blisters ouverts, des boîtes de médicaments vides». Susplugas a ainsi conçu une série de photos reprenant les gestes des vendeurs de drogue pour évoquer ce commerce qui en dit long sur le rapport de nos sociétés aux psychotropes, censément monopoles de la médecine et si souvent détournés dans leurs usages. Trafic de médicaments encore, en Afrique et en Asie, où règnent la pénurie et les contrefaçons. «Le trafic de médicaments est le plus important au monde, devant le trafic d’armes, rappelle Jeanne Susplugas. Via internet, tout le monde est touché par ce problème mais le continent africain l’est en première ligne».

Immaculée, la sculpture « Pharmacie gazon » représente ainsi une bassine remplie de médicaments, identique à celle que des milliers de femmes et enfants portent sur leur tête avant de vendre son contenu au bord des routes africaines. 70 % de ces médicaments, on le sait, ne contiennent que de la farine, dans le meilleur des cas. À quelques pas de là, un œil attentif reconnaîtra dans l’imposant losange de bois sculpté la molécule sans doute la plus médiatisée de ces deux dernières décennies: le Viagra. «J’ai vécu en résidence d’artiste à Pattaya en Thaïlande, un lieu qui fut et est encore dans une certaine mesure un haut lieu de tourisme sexuel. Ces faux Viagras circulaient sur les tables. Certains étaient destinés spécifiquement aux touristes, d’autres aux Thaïs», s’étonne encore Susplugas.

Jeanne Susplugas-PharmacieGazon Jeanne Susplugas-viagra

 

Derrière la sculpture, on remarque encore deux tableaux conçus pour le Café de Flore, à Paris, dans le cadre d’un parcours d’artistes. L’alignement des bouteilles d’alcool, dessinées selon une esthétique enfantine, proche du coloriage, révèle, si on lit les étiquettes, des phrases qui disent la solitude des addicts, les cuites fatales et le désespoir des fêtes quittées trop tard. Une nouvelle évocation poétique de l’ambiguïté de nos sociétés, partagées entre la fascination potache pour les excès et l’obsession sans joie de la vie saine.

Jeanne Susplugas-Flore

Lieu de circulation de toutes les dépendances, qu’il soigne et génère parfois à ses dépens, l’hôpital se fait ici caisse de résonnance de ces contradictions, soulevées presque sans y toucher par Susplugas, fille indigne de l’officine.

 

Julie Luong
Avril 2014

 

crayongris2Julie Luong est journaliste indépendante

 

 


 

 

Toutes photos © Jeanne Susplugas - Musée en plein air ULg

Site de l'artiste : http://susplugas.tumblr.com/

L'exposition Monkey on back de Jeanne Susplugas
est visible au CHU de Liège jusqu'au 7 juin 2014
Grande verrière et niveau -3 :couloirs et salle d'exposition du Musée en plein air
Salle d'exposition accessible jeudi et vendredi de 12h à 16h, samedi de 10h à 13h et sur RDV

Musée en plein air de l'Université de Liège au Sart Tilman

04 366 22 20 - musee.pleinair@ulg.ac.be

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