Que peut-il arriver de mieux après des études de Lettres à une jeune fille de bonne famille ? Trouver une place dans l’enseignement, se marier, avoir des enfants, bref se caser ! Et acheter une belle maison…
– Oui, mais laquelle ?
Pour Pascale Toussaint, ce fut la Luzerne, une demeure habitée auparavant par Louis Scutenaire et Irène Hamoir. Louis ne s’appelait pas Louis mais bien Jean, patronyme des aînés, de ceux qui réussissent. Il emprunta dès lors son troisième prénom, un Louis plus proche de la terre et des «gens de peu», pour écrire. Mais écrire quoi ? Des bouquins, des poèmes ? À peine. Des aphorismes que l’on publia sous le titre Mes inscriptions. C’est que Louis ne nourrissait pas d’ambition, il se camouflait dans un ministère pour ne pas être dérangé. Avec Irène – qu’il nomme le plus souvent Lorrie dans ses livres –, il se contente de recevoir quelques amis, Nougé, Goemans, Colinet, Lecomte et le jeunot, Mariën. Sans oublier Magritte ! Ce dernier venait boire le coup en amenant les toiles peintes pendant la semaine, ils riaient tous ensemble puis donnaient des titres amusants ou déroutants aux œuvres. Le peintre en laissa beaucoup chez ses complices, c’est ainsi que la Luzerne devint un musée extravagant que personne ne visitait. Quand Pierre Perret est venu pour acheter à tout prix une toile, le «Scut», assis dans un fauteuil avec ses pantoufles, ne daigna pas se lever. Le chanteur s’est fait éconduire par Irène qui, pour ne pas voir disperser le patrimoine, le légua aux Musées royaux des Beaux-Arts. Pascale Toussaint et son mari trouvèrent des murs « encore tavelés des trous laissés par les clous, même dans les toilettes. Partout. Il y avait, accrochés à ces clous, vingt-trois tableaux, treize gouaches, trente dessins et trois tapisseries exécutées d’après les dessins du peintre. »
Scutenaire fricota avec tout ce qu’il y avait de surréalistes en Belgique, sans exclusive ! Il fut donc proche du parti communiste, certains le qualifièrent de « stalinien », Scut ne prenait pas la peine de répondre. Il est vrai que ce «stal», originaire de Picardie septentrionale, avait un programme : installer une volière dans le fond du jardin, collectionner les pipes, fouiner dans les bouquineries pour dénicher des livres rares… Il avait horreur de bouger, mais il laissa planer dans les hautes pièces de la Luzerne un esprit mystérieux, d’une bienveillance lunaire, dont les habitants, aujourd’hui encore, s’imprègnent par larges bouffées.
L’auteure nous conte Scutenaire comme si elle en avait été une vieille copine, une amie fidèle du couple. Elle a choisi un aphorisme du poète pour initier chacun des chapitres. La Luzerne se situe en face de Titeca, une clinique soignant des malades mentaux, ce qui ne devait nullement déranger le facétieux locataire.
Alors, que chacun reste chez soi, les fous en ville, les gens normaux en Patagonie, les surréalistes à l’académie et Pascale Toussaint dans la maison de Louis Scutenaire.
Alain Dantinne
Pascale Toussaint, J’habite la maison de Louis Scutenaire, Éditions Weyrich, 2013, 117 p.
< Précédent I Suivant >
Retour à la liste des Romans
Retour aux Lectures pour l'été 2014