
Un monde où Science et Magie se mêlent
Organisée sous le commissariat d’Emmanuel d’Autreppe, Dominique Mathieu et Yannick Franck, l’exposition s’inscrit dans un ensemble de partenariats qui enrichit le développement de la thématique Pixels of Paradise mise sur pied par la BIP2014. À côté des conceptions idolâtriques et iconiques que mettent respectivement en place la Cité Miroir et le musée des Beaux-Arts de Liège, Les Brasseurs (dans la Maison Renaissance de l’Émulation et le Cercle des Beaux-Arts) nous emmènent aux sources d’un imaginaire métaphysique renforcé par la photographie au 19e siècle.
En dehors de la retranscription exacte du réel, la photographie induit depuis ses origines un certain attrait pour ce qu’elle ne peut normalement pas représenter : l’invisible, l’immatériel, l’au-delà. Par ce moyen, Science et Magie deviennent non plus opposées mais complémentaires et de plus en plus séduisantes au fil des perfectionnements techniques. Cette fascination pour cet « entre-deux » ou cet « après quoi » a trouvé son moment d’apogée dans les années 1870 à 1920 où, au travers des séances de spiritisme, les « esprits » se trouvaient alors immortalisés sur la plaque sensible. Ces mouvements spirites et occultes ne sont pas les seuls et vont de paire avec les partisans de l’animisme captant grâce aux plaques sensibles, les ondes, les fluides ou encore, les pensées.
Hyppolite Baraduc, Tourbillon – Électrographie du fluide vital.Vers 1895, cyanotype.
« La vie après la mort, voir-même, la vie avant la vie »
La partie historique, présentée harmonieusement dans la Maison Renaissance de l’Émulation, englobe toute une série de clichés issus de cette culture du paranormal, mais pas que ! Pour donner un peu de matérialité à l’immatériel, un attirail quasi complet de chasseur de fantôme, tout droit venu du Surnatéum de Bruxelles, vient se ranger sous l’imposante cheminée de la pièce. Les clichés post-mortem ou dévoilant toutes sortes d’apparitions, de lévitations, d’ectoplasmes et autres émanations paranormales décriées par les valeurs de la raison, côtoient des œuvres plus contemporaines où l’histoire mêlée au présent nous laisse parfois perplexes.
Pour n’en citer qu’un, Alain Rivière dans son travail intitulé Vue de l’esprit. Département : confusions, pertes, nous emmène dans un entre-deux à la fois troublant et fascinant où les fausses pistes ne manquent pas de nous plonger dans la confusion. Dans cette pièce, la vie après la mort n’est pas le seul thème concerné, mais « la vie avant la vie », comme le dit Emmanuel d’Autreppe, peut aussi porter au questionnement.
Qu’elle soit induite par des mouvements spirites ou simplement par les motivations d’un photographe épris de réflexions métaphysiques, cette sélection de photographies nous incite non pas à distinguer le « vrai du faux », comme le dit Anne-Françoise Lesuisse, directrice artistique de BIP2014, mais plutôt à « s’interroger sur le rapport à l’image dans notre société ». Elles nous incitent, en effet, à prendre la mesure de l’importance accordée à ce que la photographie pourrait capter : l’invisible.
Équipement de chasseur de fantômes
exposé à la Société Libre d'Émulation
Une dimension spirituelle toujours d’actualité
Les œuvres exposées au Cercle des Beaux-Arts (voisin de la Maison Renaissance de l’Émulation), font écho à la première salle dite « historique ». Emmanuel d’Autreppe explique le caractère spirituel de ces photographies. Selon lui, « à une époque où la photographie est caractérisée par la netteté et la précision, les photographes cherchent le flou et se recentrent sur la question de l’immatériel ». Néanmoins, cette résonnance spirituelle d’avec la première salle se démarque par son caractère essentiellement esthétique.
Comme l'avait montré Maria Giulia Dondero, chercheuse FNRS au Service des Science du Langage et Rhétorique ULg, dans son ouvrage consacré à l'aura dans la photographie contemporaine, certaines œuvres interrogent de manière très intéressante la relation que le monde contemporain entretient avec le sacré et le religieux.
Le travail mené par les artistes contemporains ne constitue pas moins la recherche d’un au-delà visible qu’une volonté d’apprivoiser les multiples techniques anciennes et récentes permettant à la photographie de rendre à l’image un caractère énigmatique, comme une sensation d’un je-ne-sais-quoi qui nous échappe. Parmi ces artistes, Marie Sordat nous explique l’une de ses deux photographies exposées. Cette photo argentique, tirée des archives de l’artiste puis agrandie, nous laisse flottants dans un univers intermédiaire. « Au départ, je n’étais pas sûre, j’avais peur qu’elle soit illisible, sale, brouillonne. Mais au final, le résultat me plaît assez bien ». En effet, le résultat est assez plaisant ! L’effet de poussière induit par les grains d’argent poussés au maximum, couplé au choix du contraste fait disparaître sous nos yeux le modèle dans un univers plongé dans le Néant, un univers presque galactique qui rappelle d’ailleurs les clichés sur plaque de verre élaborés par Édouard de Cam, exposés dans la même salle.

Marie Sordat, sans titre, extrait de la série Swan song. Photographie argentique numérisée, tirée sur papier baryté.
Maria Giulia Dondero analyse cette photographie : « La photographie spirite, mais pas seulement celle-ci, explore les différents degrés de présence des objets du monde. Dans un portrait, par exemple, c’est toujours difficile de pouvoir affirmer qu’un visage est en train de disparaître, de partir en fumée ou plutôt d’émerger et d’apparaître. La photo met en scène l’indécidable. Ce qui est toujours sûr, c'est que la photographie joue avec des présences instables, avec des chevauchements entre figure et fond, et dans cette image, le visage paraît se confondre de plus en plus avec le fond. Est-ce la figure qui s’enfonce ou est-ce le fond qui prend le dessus ? Le fond, plutôt que faire émerger une figure, comme dans tout portrait, tend ici à se superposer, à dissiper la figure. Le fond s’avance au premier plan et tend à devenir figure lui-même. Cette photo apparaît comme un jeu de forces en conflit, un lieu où la figure et le fond s’échangent de place et de rôle. C’est le pouvoir de l’aura : quelque chose qui vient de loin s’impose sur ce qui est proche, dans ce cas, le visage. L’aura est enveloppante et aveuglante. Mais ici le visage résiste, avec sa blancheur et ses contours marqués/marquants. Le conflit de forces ne joue pourtant pas seulement dans la relation entre la figure et le fond, entre le fond engloutinant et le visage qui résiste par sa blancheur et ses contours ; ici nous sommes face à un autre conflit entre forces se concurrençant : celle du visage qui se tourne, qui s’éloigne du regard du spectateur, et celle de la retenue : une main étrangère semble en fait retenir la présence du visage, vouloir la rediriger ailleurs. Les forces en conflit ne jouent donc pas seulement au niveau de l’axe perspectif (figure /fond) mais aussi sur l’axe horizontal de l’image, centré sur les mouvements de la figure.»
Si vous n'avez pas assisté à la séance d’ouverture offerte par le photographe Philippe Chancel et l’artiste numérique Samuel Bianchini, soyez sans crainte ! Les festivités reprendront le 24 mai dès 14h, à l’occasion du finissage, avec un programme chargé à la clé (conférences, lecture de portfolio, rencontres, projections et musiques…), en collaboration avec le Comptoir des Ressources créatives. D’autres activités seront organisées durant toute la durée de la biennale et notamment par le ciné-club Nickelodéon de l’ULg, en collaboration avec le Madmusée et le Centre culturel des Chiroux, pour une séance de projection de deux courts et un moyen-métrage, dans le cadre de l’exposition Oh my God ! de la Chapelle Saint-Roch. Séance qui se déroulera le 2 avril à 20h30, au complexe ULg-Opéra (place de la République française, galerie Opéra).
Ornella La Vaccara
Mars 2014
Émulation & Cercle des Beaux-Arts, Rue Charles Magnette, 9, 4000 Liège
Animations et visites guidées menées par l’Asbl Art&fact, ainsi que par l’équipe de BIP2014 à l’Émulation mais aussi au BAL, au Musée d’Ansembourg, à la Cité Miroir, à l’Espace 251 Nord, au Hangar B9, ainsi que par le Service du MADmusée dans la Chapelle Saint-Roch.
Un catalogue bilingue (FR/EN) des expositions de la BIP2014 sera édité.
Horaires d’ouverture, du 15 mars au 25 mai : Du mercredi au vendredi de 13h à 18h, et samedi et dimanche de 10h à 18h.
Pour plus d’informations : www.bip-liege.org