Alors qu'une conférence spéciale se tiendra à Anima le 6 mars prochain, Culture ULg revient sur l'ouvrage de Daniel Couvreur sur Belvision en détail. L'histoire de feu le plus grand studio européen d'animation commence tout de suite...
Genre longtemps délaissé par les études cinématographiques, le cinéma d'animation connaît depuis quelques années un intérêt croissant dans le milieu universitaire. L'ouvrage de Daniel Couvreur arrive donc à point nommé, tant le cinéma d'animation belge manque cruellement de reconnaissance. Parce qu'il propose à la fois une remise en perspective complète de Belvision grâce à des témoignages, des illustrations souvent inédites et une recherche documentaire approfondie, Belvision : le Hollywood européen du dessin animé est largement complémentaire à l'ouvrage de Philippe Capart et Erwin Dejasse, Morris, Franquin, Peyo et le dessin animé, sur le cinéma d'animation commercial en Belgique.
Parcours chaotique
Tout débute dans les années 50-60 : alors que le studio CBA vient de fermer ses portes, laissant le cinéma d'animation belge orphelin de toute production courante, la bande dessinée, elle, ne s'est jamais aussi bien portée : le journal Tintin passe de 12 à 52 pages et est tiré à 800 000 exemplaires, vendus dans le monde entier. Raymond Leblanc, fondateur de la revue, est heureux mais rêve d'un empire équivalent à celui de Disney. Si Mickey a su passer de l'animation à la BD, pourquoi l'inverse serait-il impossible à Tintin ? Hélas, Raymond Leblanc s'avère vite un aussi brillant businessman que piètre artiste : les premières adaptations des BD réalisées en 1954 à savoir Chlorophylle, Bob et Bobette et Tintin (ce dernier en papier découpé) manquent cruellement de génie, d'originalité voire de réussite technique.
Têtu, Raymond Leblanc continue d'investir dans sa société jusqu'à ce que deux producteurs américains lui commandent Pinocchio dans l'espace en 1965, avec à la réalisation Ray Goossens. Durant les dix années suivantes, Belvision va produire un grand nombre de spots publicitaires, de courts métrages (dont Le Roman de Renart scénarisé par Raoul Servais) et pas moins de neuf longs métrages ! Cette prolifique activité sera pourtant stoppée nette en 1975 avec Les voyages de Gulliver de Peter Hunt, projet (trop) ambitieux mélangeant prises de vue réelles et animation et qui mettra à genoux le studio. Le rêve de Belvision, le plus important studio d'animation européen, s'estompe peu à peu.
Aujourd'hui terrassé mais en vie, Belvision continue à œuvrer dans le domaine de la production, abandonnant tout projet de longs métrages pour de la coproduction sur des courts métrages ou des séries télévisées. Toujours en activité, Belvision n'est plus qu'un ancêtre expérimenté mais oublié de beaucoup, vague souvenir d'un âge d'or définitivement révolu mais ô combien essentiel !
Une ambition démesurée
Hergé et Raymond LeblancÀ première vue, il semble difficile de comprendre comment un studio comme Belvision a pu décliner à une telle vitesse. Le seul studio, aujourd'hui encore, à avoir touché du bout des doigts l'aura disneyienne aurait-il eu simplement de la malchance ? Bien au contraire, il semble miraculeux qu'il ait pu tenir si longtemps dans les conditions qui étaient siennes. On l'a vu, Raymond Leblanc s'est très vite comparé à Walt Disney, rêvant d'un empire total porté par une mascotte identifiable par tous, de 7 à 77 ans. D'emblée, Leblanc possédait toutes les cartes pour faire trembler le géant américain et même, disons-le, quelques avantages : un héros déjà célèbre, une source inépuisable d'histoires dans la bande dessinée belge, un savoir-faire indéniable en termes de dessins... Alors pourquoi ?
Dans un premier temps, le contexte historique est totalement différent. Walt Disney a pu bâtir son empire en rebondissant sur une époque dorée d'innovations et d'opportunités : le passage au son représente sans doute l'une de ses grandes étapes, les studios Disney ayant très vite compris comment se servir de cette révolution cinématographique à bon escient (il s'agit bien sûr des Merry Melodies). Surtout, Disney a su risquer à maintes reprises sa société pour profiter de ses innovations techniques (caméra multiplane, couleur, passage au long métrage) et continuer ainsi de dominer un marché naissant. Enfin, la seconde guerre mondiale n'est pas étrangère au succès de l'empire Disney, à la fois comme source financière (Disney a réalisé de nombreuses commandes pour l'US Army) et comme tremplin pour sa conquête mondiale (les accords Blum-Byrnes par exemple, qui imposèrent la domination du cinéma américain dans les salles françaises). Raymond Leblanc, et par extension Belvision, n'ont hélas pas eu les mêmes enjeux ni les mêmes chances. D'une part, Belvision est arrivée sur un marché dominé par Disney depuis 25 ans, là où ce dernier n'avait aucune concurrence sérieuse. D'autre part, Leblanc n'a jamais su (ou pu) prendre des risques équivalents à ceux de Walt Disney, se contentant de réduire au maximum les dépenses afin d'éviter la faillite. Enfin, Disney a su construire un univers spirituellement américain mais emprunt de références européennes (la peinture, les contes) afin de séduire la plus large audience, là où Leblanc s'est finalement contenté de puiser dans des bandes dessinées bien moins universelles qu'un quelconque passé culturel. Enfin, et c'est peut-être là le vrai nœud du problème, Raymond Leblanc n'a eu qu'une ambition financière là où un Disney conjuguait art et argent.