Successeur de Léopold Sédar Senghor à la présidence du Sénégal en 1981, fonction qu’il a occupée jusqu’en 2000, Abdou Diouf termine en 2014 son troisième et dernier mandat comme Secrétaire général de l’Organisation internationale de la Francophonie. Docteur honoris causa de nombreuses universités, dont celle de Liège, il prononcera le discours inaugural de la Cité Miroir, un nouvel espace « au service de la citoyenneté, de la mémoire et du dialogue des cultures » qui ouvre dans le centre de Liège.
Né en 1935 à Louga, Abdou Diouf a commencé sa carrière politique auprès de Léopold Sédar Senghor dont il a été successivement directeur de cabinet, secrétaire général, ministre et premier ministre avant de lui succéder le 1er janvier 1981. Président du Comité de patronage du Centre Dialogue des Cultures de MNEMA, asbl dont la mission est la réhabilitation des anciens Bains et Thermes de la Sauvenière, il donnera une conférence le 16 janvier prochain à l’occasion de l’ouverture de la Cité Miroir. Bob Kabamba, enseignant au Département de science politique de l’ULg, qui le connaît bien, pointe sa singularité dans l’histoire africaine postcoloniale et dresse son bilan à la tête de l’OIF.
Peut-on voir Abdou Diouf comme un successeur de Sédar Senghor ?
On aurait du mal à les comparer. Sédar Senghor est à la fois l’un des pères de l’indépendance du continent africain et un grand homme de lettres qui a marqué toutes les générations en Afrique francophone où ses œuvres sont enseignées et étudiées. Pour Abdou Diouf, il faut d’abord insister sur le fait qu’il est parvenu à consolider un espace démocratique sur un continent majoritairement constitué d’États autoritaires et de régimes dictatoriaux. Dans les années 1980, à une époque où l’on parlait de « mode de gestion africaine », il mettait en avant la notion de démocratie, reconnaissant l’existence d’une opposition. Ce qui n’était pas bien vu par d’autres présidents n’aimant pas recevoir des leçons de sa part. Et lorsqu'il a été battu en 2000 aux élections présidentielles par Abdoulaye Wade, son éternel opposant, la passation de pouvoir s’est passée sans aucun problème, ce qui est rare en Afrique.
Mais se représenter en 2000, après près de vingt ans de présidence, n’était-ce pas aussi s’accrocher au pouvoir ?
Lui-même reconnaît avoir très mal géré son parti et n’avoir pas suffisamment préparé sa succession. Il n’a pas su consolider le parti hérité de Senghor miné par trop d’antagonismes. Et c’est son dauphin qui aurait dû être candidat à sa place mais le parti n’est pas parvenu à se mettre d’accord sur un nom. C’est pour cette raison qu’il s’est représenté à un nouveau mandat.
Et comment a-t-il géré le Sénégal d’un point de vue social et économique ?
Sur la question de la Casamance [région du sud-ouest du pays enclavée en Gambie en proie à une fièvre indépendantiste depuis 1982], sa gestion a connu des hauts et des bas. Il a notamment dû assumer la répression violente contre les indépendantistes. Sur le plan économique, il n’a pas réussi à réduire les écarts entre la minorité riche et le peuple qui n’a pas vu son niveau de vie augmenter sous son ère. Il faut cependant rappeler que le Sénégal a connu une grave crise alimentaire due à la sécheresse, impactant une production vivrière principalement constituée de riz et d’arachides. Et le pays a aussi connu une grande vague de migrations vers l’Europe, les États-Unis et le Canada. On a parlé d’une fuite de cerveaux.
Et quid de ses rapports avec la France et avec ses voisins ?
Sur ce terrain, il a fait un sans-faute. Il a par exemple très bien géré un conflit important avec la Mauritanie.
Son arrivée à la tête de l’OIF allait de soi ?
Elle a été précédée de nombreuses et longues discussions politiques entre chefs d’État, certains pays africains ne voyant pas d’un bon œil la candidature de ce défenseur de la démocratie et des droits de l’homme. Si, dans les années 2000, plusieurs pays se sont engagés dans un processus d’élection et de démocratisation, d’autres résistaient, comme le Gabon, le Congo Brazzaville ou la République démocratique du Congo.
Quel est son bilan ?
Il est très positif. De cet organisme, qui concerne principalement la protection de langue française, il a voulu faire un outil politique qui s’est spécialisé dans la protection des droits de l’homme et la prévention des conflits, offrant par exemple une médiation dans plusieurs crises comme au Mali ou en Centrafrique. C’est sous son mandat qu’un pays, Madagascar, a été suspendu de l’OIF suite à un coup d’État, chose impensable il y a quelques années. Aujourd’hui, dans les cénacles internationaux comme à New York ou Genève, la francophonie participe aux réunions, apporte ses contributions. Elle a par exemple mis à l’agenda les cas du Mali et de la Centrafrique où a été envoyé Louis Michel. Ce type d’actions n’existait pas auparavant. Et lorsque, lors du dernier sommet de Kinshasa, François Hollande a pris à parti Kabila sur la question des droits de l’homme, il a été le seul à répliquer fermement en disant qu’il y avait deux poids deux mesures, qu’en Chine, il ne tenait pas le même discours.
Michel Paquot
Janvier 2014
Michel Paquot est journaliste indépendant.
Bob Kabamba enseigne la politologie africaine au Département de Science politique de l’ULg.