À l'origine de la confiserie/ 1 : L 'Antiquité gréco-romaine et le monde musulman

Les célébrations de la Saint-Nicolas et de la Noël s’accompagnent invariablement de dégustations de diverses friandises. Parmi elles, le massepain et le nougat tiennent la vedette. Toutes ces douceurs sont l’aboutissement d’une longue histoire prenant racine dans la pharmacopée grecque dont héritent les médecins musulmans de Bagdad. Ces derniers sont à l’origine d’une formidable culture de la confiserie qui se répandra en Europe à la fin du Moyen Âge grâce à la traduction en latin des livres de pharmacie arabes. Examinons dans cette première partie la naissance et le développement de la confiserie dans l’Antiquité gréco-romaine et le monde musulman médiéval.

Les confiseries dans l’Antiquité

Bien avant l’arrivée de la canne à sucre dans l’espace méditerranéen, les premières sucreries apparues au Proche-Orient sont à base de miel. Hautement énergétique, idéal pour produire des efforts violents, facile à conserver, doté de vertus thérapeutiques et conservatrices, offrant une palette gustative particulièrement variée, le miel accompagne l’histoire des hommes depuis au moins 20.000 ans. Tour à tour don des Dieux et instrument de plaisir, il incarne depuis la plus Haute Antiquité une idée de luxe et de douceur divine.

 MielEgypte

Si on ne connaît pas la date de la domestication de l’abeille, nous savons que l’apiculture est pratiquée couramment sous la Ve dynastie égyptienne, entre 2.500 et 2.300 avant J.-C. Illustration : tombe de Pabes à Thèbes, XXVIe dynastie (-664 à -525)

La pâtisserie mésopotamienne

La plus ancienne pâtisserie sucrée connue est mésopotamienne. Elle remonte au 21e siècle avant J.-C. Il s’agit du mersu, un biscuit doux et gras obtenu par pétrissage de farine avec de la graisse liquide. Il peut contenir des dattes, des noix, des raisins secs, des pommes ou des figues. On le parfume avec de l’ail, du cumin, de la coriandre ou de la résine. Il peut également contenir du beurre clarifié ou du fromage. On l’agrémente souvent de miel. Ce mets de choix entre dans les rituels religieux1.

Le miel et la confiserie en Grèce et à Rome

Dans la civilisation grecque et romaine, le miel conserve son statut divin et les abeilles symbolisent le passage de la vie à l’au-delà. Le miel de bonne qualité, qu’on juge à sa saveur et à sa consistance, fait partie du grand commerce international et se vend très cher. Il est également utilisé pour la conservation des fruits et des viandes dans des jarres hermétiques. On en agrémente les vins épicés, les eaux et, bien entendu, l’hydromel. En outre, les Grecs et les Romains l’utilisent abondamment en médecine, mère de la confiserie.

Les premiers antidotaires2 et livres d’agronomie nous en livrent déjà quelques recettes, parmi lesquelles nous décelons les ancêtres du massepain et du nougat. Conscient des divers bienfaits du miel, Hippocrate (-460 – -370) encourage son usage dans la pharmacopée et livre la composition d’un remède contre la pleurésie réalisé à base d’amandes pilées mélangées au miel. C’est ainsi que naît le massepain, au 4e siècle avant J.-C.

Quelques siècles plus tard, Galien de Pergame (129-201) mélange des amandes et des pignons de pin entiers avec du miel pour calmer la toux. Il pose ainsi les jalons du nougat. Il donne également le mode de fabrication de la pâte et de la gelée de coing stomachiques, à l’origine du cotignac. Entretemps, le médecin romain Celse (-25 – 50) détaille les recettes des confitures de pomme, de poire, de grenade et de coing.

Les friandises au miel débordent du cadre strictement médical pour apparaître dans la littérature culinaire. On s’aperçoit que les confiseurs, les pâtissiers et les cuisiniers grecs ou romains ne craignent pas de mélanger le miel au poivre, comme pour la confection du gastris de Chrysippos rapporté par Athénée :

« Faites rôtir des noix, des noisettes, des amandes et des graines de pavot. Écrasez-les dans un mortier propre, ajoutez une grande quantité de poivre et du miel bouillant. L’appareil devient sombre à cause du pavot. Moulez-le en carré. Puis écrasez une grande quantité de sésame blanc, adoucissez avec du miel bouillant, faites-en deux minces plaques entre lesquelles vous mettrez le caramel au pavot3. »

Dans le De re coquinaria d’Apicius4, une autre douceur à base de dattes allie le poivre et le miel :

« Dénoyautez de petites dattes ou des dactyles que vous fourrerez de noix ou de pignons de pin ou de poivre en poudre. Salez à l’extérieur, faites frire dans du miel et servez. »

La confiserie dans le monde arabe

À partir du 8e siècle, les califes abbassides créent un vaste mouvement scientifique, artistique et culturel dans leur nouvelle capitale, Bagdad. La médecine y occupe une place importante. Les musulmans récupèrent l’héritage gréco-romain de la confiserie en traduisant les œuvres d’Hippocrate et de Galien qu’ils modernisent. C’est ainsi qu’apparaissent de nouveaux remèdes dans lesquels le miel se voit petit à petit concurrencer par un nouveau produit arrivé d’Orient, le sucre de canne.

La genèse du sucre

La canne à sucre est cultivée à partir de -2.000 en Nouvelle-Guinée. Dans un premier temps, on la consomme à l’état brut, en la mâchant ou en la suçant. Aux environs de notre ère, en Inde, on en fait du sucre par réduction de son jus5. Cinq siècles plus tard, les médecins et les chimistes de la fameuse école de médecine de Gundishapur, lieu d’échanges entre les civilisations perse et indienne, sont à l’origine de la technique du raffinage du sucre6.

Après s’être implantée en Iran, la canne à sucre se répand en Syrie et en Palestine (7e – 14e siècle), en Égypte (8e – 14e siècle), ainsi qu’à Chypre et en Crète (13e siècle – 15e siècle). À la fin du Moyen Âge, les producteurs occidentaux prennent le relais. Si le Maghreb reste une région marginale, hormis dans le sud-ouest du Maroc, les plantations de Sicile (à partir du 14e siècle), d’Espagne (14e siècle), du Portugal (début du 15e siècle) et des îles atlantiques (milieu du 15e siècle) se développent considérablement.


 

1 Jean Bottéro, La plus vieille cuisine du monde, Paris, Louis Audibert, 2002, p. 22, 23.
2 Livre pharmaceutique donnant des recettes de médicaments composés.
3
Nicole Blanc, Anne Nercessian, La cuisine romaine antique, Grenoble, Glénat, 1992, p. 32.
4
A propos d’Apicius, voir les articles « A la table d’Apicius », 1ère et 2e parties.
5
Le terme sucre vient d’ailleurs du sanskrit sarkara qui signifie gravier, sable, voire petit caillou. Il a donné sakara dans le dialecte prakrit, sakkaron en grec et saccharum en latin, ainsi que al-sukkar en persan et en arabe. Les termes européens dérivent de l’arabe : zucchero en italien, Zucker en allemand, sugar en anglais, azùcar en espagnol, sucre en catalan et azucar en portugais.
6
Mohammed Ouerfelli, Le Sucre, Production, commercialisation et usages dans la Méditerranée médiévale, Boston, 2008, p. 19-24.

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