Édité par la Cinémathèque de la Fédération Wallonie-Bruxelles et Yellow Now, Regards sur le réel : 20 documentaires du 20e siècle est le premier ouvrage à s’attarder sur le cinéma documentaire belge de la sorte, s’attardant sur quelques films emblématiques démontrant que la Belgique a su apprivoiser sous bien des formes différentes ce genre si particulier.
En 1999, le service culturel du Commissariat général aux Relations internationales (aujourd'hui WBI) et le Ministère de la Fédération Wallonie-Bruxelles publiaient le dictionnaire DIC DOC, dédié à Henri Storck. Sous la direction de Jacqueline Aubenas, une vingtaine d’auteurs dressaient un panorama du cinéma documentaire en Belgique des origines à ce jour. L’ouvrage se concentrait alors sur une série de thèmes spécifiques (l’histoire du documentaire, comment filmer l’art, la danse, le social, etc.) et proposait en fin de parcours quelques biographies d’auteurs majeurs de notre plat pays. Regards sur le réel se différencie en reformulant une histoire du cinéma documentaire belge non plus en termes de thèmes ou de personnalités mais bien de films, choisis pour leur apport à la cinématographie nationale au cours du siècle dernier.
Opérer un tel choix ne pouvait que conduire à des doutes, des suspicions, des incompréhensions. Comme dans tout art, il est difficile de justifier pourquoi telle œuvre mérite qu’on la retienne au détriment de telle autre. Regards sur le réel soulève ainsi deux questions non dénuée d’intérêt : premièrement, le livre ne se concentre que sur l’aspect francophone du documentaire belge, alors que les éditeurs rappelle qu’il s’agit d’un « ouvrage inédit qui, par ses qualités de recherche et d’analyse, présente, par conséquent, les fondamentaux de l’école belge du documentaire ». Dans cette logique, on s’étonnera aussi de ne pas voir le cinéma colonialiste abordé : André Cauvin et Gérard De Boe sont les grands absents de cet ouvrage se voulant pourtant un panorama le plus large possible.
C’est d’autant plus étonnant que le livre cherche, à travers ses auteurs, à cerner une certaine identité belge au travers de ces vingt films. Si l’objectif n’est pas pleinement atteint, il l’aura suffisamment été pour permettre au lecteur de mieux comprendre les enjeux du documentaire belge : des films à la création parfois difficile, sans argent, ancrés (tantôt avec militantisme, tantôt avec visée sociologique) dans une réalité sociale qui n’a eu de cesse de nourrir chaque génération de cinéaste. À cet égard, l’introduction de Jean Breschand1 démontre combien le cinéma documentaire belge a su puiser à la fois dans son propre environnement et dans celui, plus général, du cinéma mondial (les influences de Vertov, Flaherty, Marker, Depardon, etc.) pour trouver sa propre voie.
Parmi les quatre auteurs principaux, on retrouve Marc-Emmanuel Mélon, professeur d’histoire du cinéma et des arts visuels et vice-président du Département des Arts et Sciences de la Communication de l’ULg qui s’attarde, en quelque sorte, sur les fondements du cinéma documentaire belge en écrivant sur Images d’Ostende d’Henri Storck, Dimanche d’Edmond Bernhard mais aussi – et surtout – Déjà s’envole la fleur maigre de Paul Meyer (image ci-dessus), film majeur et pourtant ambigu : considéré comme une étape majeure dans le documentaire, le film de Meyer reste avant tout une fiction, comme s’en défendait le réalisateur et, aujourd’hui encore, ses successeurs. Outre ces textes, Marc-Emmanuel Mélon aborde également plus loin dans le livre deux cinéastes importants : Richard Olivier et son Marchienne de vie (Olivier est par ailleurs l’auteur du récent Big Memory, projet documentaire sur le cinéma belge et ses réalisateurs essentiels) et Mobutu roi du Zaïre, de Thierry Michel, par ailleurs maître de conférence à l’ULg. Ses textes, comme ceux des autres auteurs, mettent moins en avant le film en lui-même que son processus créatif et sa place dans le documentaire en Belgique. La démarche est subtile car, sous couvert de se limiter à vingt films, l’ouvrage tend à cerner les fondements d’un genre protéiforme, où le cinéma social (les frères Dardenne, Manu Bonmariage) côtoie celui sur l’art (Luc De Heusch) et, surtout, celui à la première personne (Boris Lehman évidemment, mais aussi Olivier Smolders, également maître de conférence à l’ULg. Et l’identité belge de se dessiner peut-être justement là, dans cette absence de frontières imaginaires et absconses que la Belgique ne connaît que trop bien dans d’autres domaines.
Bastien Martin
Novembre 2013
Bastien Martin est diplômé de l'ULg, Master en Arts du spectacle, finalité cinéma documentaire. Il poursuit actuellement des recherches en cinéma d’animation.
Pour la sortie du film, une série d’événements auront lieu tout au mois de novembre :
- La RTBF – La Trois diffusera aussi, tous les jeudis, un des vingt films de l’ouvrage. Le Rêve de Gabriel, déjà diffusé, est toujours visible sur le site de la RTBF ; les prochains films seront les Amants d’assises de Manu Bonmariage, Week-end de Jean-Jacques Péché et Pierre Manuel, Gigi, Monica et Bianca de Benoît Dervaux et Yasmina Abdelaoui et l’inestimable Déjà s’envole la fleur maigre de Paul Meyer, toujours inédit en dvd.
- Par ailleurs, un coffret dvd reprenant la majorité des films cités dans l’ouvrage sera également bientôt disponible.
1 Critique, réalisateur, enseignant et auteur du Documentaire : l’autre face du cinéma publié aux Éditions Cahiers du Cinéma.