J.-Th. de Bavière, un singulier prélat
Jean-Théodore de Bavière

bavièreJean-Théodore, un prince sous influence ? Bien des aspects de son comportement le laissent entendre. Vis-à-vis de la France, cela ne fait aucun doute, au point qu'on peut parler d'inféodation de la principauté à la grande voisine du Sud sous son règne. Inféodé au beau sexe, il le fut aussi : tous les témoignages de l'époque vont dans ce sens, au point que dans leur Histoire de la principauté de Liège (Toulouse, Privat, 2002), Bruno Demoulin et Jean-Louis Kupper n'hésitent pas le qualifier de  « cardinal coquin ». Ce tempérament cavaleur alerta Rome : en 1762, le nonce apostolique de Cologne se rendit à Liège pour enquêter sur ce sujet scabreux. C'est que le prince, si peu évêque, n'avait aucune honte à s'exhiber avec ses maîtresses. L'une d'elles, l'intrigante comtesse Sedlnitzki, que Daniel Jozic appelle « la Pompadour liégeoise » dans son ouvrage, avait la réputation de manœuvrer son amant : au cours de la cabale ourdie contre Horion, elle aurait finalement dicté sa conduite favorable à la France – et donc à Horion – grâce aux libéralités versées par Jacques-Abraham Durand d'Aubigny, résident français à Liège. Et Jean-Théodore, craignant que le pape ne lui ordonne de se séparer d'elle, affirma même un jour que, si cette éventualité devait se produire, il abandonnerait « toutes ses charges pour filer avec elle le parfait amour ». Allez savoir, les voies du cœur et de la diplomatie ont de ces secrets...

Ses fonctions politiques, à vrai dire, le leste cardinal n'avait que trop tendance à les interrompre pour s'adonner à des plaisirs dispendieux, d'où sa recherche – à bien des égards effrénée – de numéraire. La chasse y occupait une place importante, activité qu'il pratiqua notamment à Maseyck, « bonne ville » de la principauté située en bordure de Meuse où il se fit construire une gentilhommière. Nettement en amont, le château de Seraing, siège d'une cour brillante, constituait également pour lui une résidence prisée. Au même titre que son palais de Liège où les rendez-vous mondains allaient bon train le dimanche. Bref, Jean-Théodore, dont le bon goût était incontestable, avait un aimable train de vie sur ses terres mosanes, du moins quand d'autres urgences ne l'appelaient pas au-delà des frontières de la principauté, dans sa chère Bavière natale en particulier.

Il s'y rendait d'autant plus volontiers que, souffrant de problèmes respiratoires, l'air plus sain lui faisait là-bas le plus grand bien. Le bien, il l'avait par ailleurs voulu pour ses administrés, tâchant notamment de restaurer les finances et l'économie de la principauté tellement malmenées par les années de guerre. Mais il ne réussit pas vraiment à renouer de bonnes relations avec ses voisins les plus proches, Pays-Bas autrichiens et Provinces-Unies, ceux-ci n'y mettant manifestement pas du leur. Même bilan en demi-teinte à l'intérieur : il assista même dans sa capitale à une fronde où l'on reconnaissait des membres de la noblesse locale ainsi que des bourgeois et des clercs, excédés qu'ils étaient par les menées de favoris abusant – à leur seul profit – de l'absence d'un prince si souvent parti pour des cieux plus cléments.

Ces restrictions mises à part, « sous le principat de Jean-Théodore de Bavière, un vaste mouvement de renaissance culturelle commença à se dessiner dans la principauté », comme le soulignait Daniel Jozic dans une notice du catalogue Le siècle des Lumières dans la principauté de Liège (exposition organisée par la Ville de Liège dans le cadre des manifestations du Millénaire de  la principauté de Liège, 1980). Et l'historien liégeois, docteur en Philosophie et Lettres de l'ULg, d'y poursuivre à l'époque : « Toutes ces idées idées nouvelles allaient trouver un large écho dans le Journal encyclopédique de Pierre Rousseau, lancé à Liège dès 1755. » Cette dimension d'un règne où les dérèglements furent monnaie courante n'a cependant pas suffi à redorer le blason de son prince-évêque. Lequel choqua la population liégeoise. Le bilan s'est donc avéré accablant, au dire entre autres du comte Charles-Joseph d'Argenteau, chanoine de Saint-Lambert contemporain du dernier des Wittelsbach : « Tout va si mal que si Dieu n'y met pas ordre, ce pays deviendra détestable. » La messe était dite. Son successeur, Charles-Nicolas d'Oultremont (1716-1771), fut choisi parmi la noblesse du terroir et sera gratifié d'une appellation fleurant bon le parler de chez nous : « Nosse prince Tchâles ».

Henri Deleersnijder
Janvier 2014

crayongris2


Henri Deleersnijder
est licencié en Arts et Sciences de la Communication et collaborateur scientifique à l'Université de Liège.

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