Bibliographie camusienne pour un centenaire
À l’occasion de la commémoration du centenaire de la naissance d’Albert Camus le 7 novembre 1913 à Mondovi, dans le département de Constantine en Algérie, qui survient près de quatre ans après l’anniversaire de sa mort le 4 janvier 1960, déjà abondamment célébré, Gallimard enrichit son catalogue de plusieurs nouveautés et rééditions tandis que d’autres éditeurs publient d’intéressants essais ou remettent en vente ses biographies.

Romans, nouvelles, théâtre

D’un point de vue strictement littéraire, nulle nouveauté n’était à attendre. Deux seuls romans inédits ont paru après sa mort, La mort heureuse (1974, Cahiers Albert Camus 1), écrit entre 1936 et 1938 et que l’écrivain a délaissé pour se consacrer à L’Étranger, et, surtout, Le Premier homme (1994, Cahiers Albert Camus 7), roman inachevé retrouvé dans sa sacoche sur les lieux de son accident mortel et qui, semble-t-il, après « L’Absurde », « La Révolte » et « Le Jugement », devait ouvrir un nouveau cycle consacré à « L’Amour ».

couv QUARTO CAMUSL’événement est le volume qui lui est consacré de la collection Quarto, la meilleure de ce genre en France par la qualité de ses apports biographique, iconographique et critique. S’ouvrant sur le Discours de Suède, cet ouvrage construit chronologiquement reprend ses romans (L’Étranger, Le Premier homme) ses récits (La Peste, La Chute), ses nouvelles (Noces, L’Été, L’Exil et le Royaume), ses essais (L’Envers et l’endroit, Le Mythe de Sisyphe, L’Homme révolté), ses pièces de théâtre (Caligula, Le Malentendu, L’État de siège, Les Justes) et Lettres à un ami allemand.

FerrandezCertains d’entre eux sont aussi réédités séparément. L’Étranger  a droit à un double traitement particulier. D’une part, il paraît sous coffret accompagné d’un fascicule illustré racontant l’histoire de sa rédaction et de sa publication. D’autre part, dans sa collection Fétiche, Gallimard en propose une adaptation en bande dessinée réalisée par Jacques Ferrandez, l’auteur des Carnets d’Orients, cycle (toujours en cours) de dix albums retraçant l’histoire de l’Algérie de sa colonisation en 1830 à son indépendance en 1962. Né en 1955 dans le quartier Belcourt, à Alger, Ferrandez, dont les grands-parents tenaient un magasin de chaussures rue de Lyon, en face de l’immeuble où Camus a passé son enfance et son adolescence, a déjà transposé une nouvelle de l’écrivain, L’Hôte. Si cette adaptation est de qualité, tant par le dessin que par le texte totalement fidèle à l’original, la mise en dialogues de la voix du narrateur et en images d’un espace mental propre à chaque lecteur, enlève quelque chose de la puissance du roman.

chuteLa Chute, considéré par certains camusiens comme l’un des textes fondamentaux de Camus, est mis en voix par le comédien François Berland sur un CD audio de quelque 3h20. La Peste, enfin, de même que certains essais et pièces de théâtre sont repris en Folio sous deux coffrets thématiques, « L’Absurde » et « La Révolte ». En plus d’écrire des pièces, Camus en a adapté une demi-douzaine dont, moins connus que Les Possédés ou Requiem pour une nonne, Un cas intéressant de Dino Buzzati et La Dévotion à la croix de Calderon qui sont réédités en Folio théâtre enrichi d’un dossier critique.

Écrits journalistiques

Trois étapes journalistiques jalonnent la vie d’Albert Camus. À la fin des années 1930, engagé par Pascal Pia, il entre à Alger Républicain où il va publier un reportage retentissant, « Misère en Kabylie », dans lequel il dénonce l’injustice sociale, économique et humaine faite à la population arabe. Après la disparition du quotidien, il devient rédacteur en chef de l’éphémère Soir Républicain. Les articles publiés dans ces journaux ont été regroupés dans les deux tomes de Fragments d’un combat (Cahiers Albert Camus III).

ACombatLa deuxième étape, la plus importante, est celle de Combat. De ce journal résistant fondé par Pascal Pia dans la clandestinité, qu’il a rejoint en 1943, Camus devient le rédacteur en chef à la Libération. Dans ses éditoriaux, au nom d’une conception exigeante de l’éthique, il défend vigoureusement une « réforme morale de la presse ». Mais il déchante rapidement lorsqu’il se rend compte qu’elle « cherche à plaire plutôt qu'à éclairer », « veut informer vite plutôt qu'informer bien » et que « la vérité n'y gagne pas. » Il déplore que la frivolité et le sensationnalisme s'affichent à nouveau sans vergogne. Pour lui, « la presse à un rôle de conseillère à jouer auprès du gouvernement et de guide auprès de l'opinion. » Le journaliste est « un historien au jour le jour dont le premier souci est la vérité ». En novembre 1946, quelques mois avant son départ, il publie Ni victimes ni bourreaux, une suite d’articles où il dénonce notamment le régime soviétique et le goulag. Sous le titre À Combat, Folio Essais réédite l’ensemble de ses contributions à ce quotidien dont Yves-Marc Ajchenbaum retrace l’histoire jusqu’à sa disparition dans Combat 1941-1974. Ce récit passionnant, qui est également celui de trois décennies cruciales dans l’histoire politique et intellectuelle française, a paru une première fois en 1994 sous le titre À la vie, à la mort.

Camus, enfin, donnera en 1955-56 des chroniques à L’Express qui seront, dans leur majorité, consacrées à la guerre d’Algérie en cours. Elles ont été réunies dans les Cahiers Albert Camus VI.

Carnets, journaux

carnetFolio réédite sous coffret les trois tomes des Carnets de Camus publiés de manière posthume entre 1962 et 1989. Si tout n’y est pas d’un intérêt égal, ils permettent d’entrer dans une certaine intimité avec leur auteur, de le suivre dans l’élaboration de ses livres ou de l’accompagner dans ses déplacements. Le premier s’ouvre en mai 1935 (il a 21 ans) par ces mots : « À mauvaise conscience, aveu nécessaire. L’œuvre est un aveu. Il me faut témoigner. Je n’ai qu’une chose à dire, à bien voir. C’est dans cette vie de pauvreté, parmi ces gens humbles ou vaniteux, que j’ai le plus souvent touché ce qui me paraît le sens vrai de la vie. Les œjournauxuvres d’art n’y suffiront jamais. L’art n’est pas tout pour moi. Que du moins ce soit un moyen. » Fin 1945 (Carnes II) : « À trente ans, presque du jour au lendemain, j’ai connu la renommée. Je ne le regrette pas. J’aurais pu en faire plus tard de mauvais rêves. Maintenant, je sais ce que c’est. C’est peu de choses. » En 1952 (Carnets III) : « Même ma mort me sera disputée. Et pourtant ce que je désire de plus profond aujourd’hui est une mort silencieuse, qui laisserait pacifiés ceux que j’aime. » Le 2 août 1958 (Carnets III) : « Je me force à écrire ce journal mais ma répugnance est vive. (…) Si je m’y force en ce moment, c’est par panique devant mon défaut de mémoire. »

La même collection de poche réédite ses Journaux de voyage. Soit celui aux États-Unis de mars à mai 1946, où le journaliste reconnu et remuant est « traité en suspect » à son débarquement, et celui en Amérique du Sud de juin à août 1949 où, malade pendant la traversée, il pense au suicide. D’ailleurs, la fièvre et la grippe ne le quitteront pratiquement plus durant ce séjour souvent difficile qui, le voit « pour la première fois en pleine débâche psychologique ».

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