Les Justes monté en arabe au Théâtre de Liège

Les Justes se jouera au Théâtre de Liège, du 13 au 19 octobre, avant une reprise aux Tanneurs à Bruxelles en décembre.

lesjustesNé à Liège en 1985, Mehdi Dehbi a fait à 16 ans ses débuts au cinéma dans Le Soleil assassiné d’Abdelkrim Bahloul, évocation du poète Jean Sénac, avant d’intégrer successivement les Conservatoires de Bruxelles, Paris et Londres. Il a ensuite joué dans une demi-douzaine de films dont Sweet Valentine, La Folle histoire d’amour de Simon Ezkenazy, Le Fils de l’autre, Le Sac de farine ou Je ne suis pas mort, où il tient le rôle principal. Avec Les Justes de Camus, il met en scène sa première pièce, interprétée en arabe par des acteurs de différentes nationalités.

« Les Justes, c’est une vraie passion », explique Mehdi Dehbi qui a découvert cette pièce à 16 ans. Le personnage qui l’intéresse tout particulièrement est Kaliayev, le révolutionnaire qui n’a pas voulu lancer la bombe sur la calèche du grand-duc car des enfants s’y trouvaient. Refus que condamne Stepan pour qui la fin justifie les moyens, convaincu que la révolution n’a pas à s’embarrasser de ces « niaiseries ». Kaliayev a été pendant des années le personnage « fétiche » du comédien, lors des concours d’entrée aux différents Conservatoires ou pour préparer certains rôles, comme celui d’une taupe dans L’Infiltré.

Ce qui le touche principalement, dans ce texte qui lui « a toujours beaucoup parlé et porté bonheur », c’est « le discours de l’innocence ». « Kaliayev dit que les gens ne vivent pas que de pain et de justice mais aussi d’innocence, et c’est peut-être ce qui manque un peu dans le monde d’aujourd’hui, constate-t-il. Et je crois très profondément en Camus. Ses valeurs humanistes ne sont pas volatiles ou intellectuelles mais profondément ancrées dans la réalité et dans la vie. Les Justes, ce n’est pas du théâtre pour du théâtre mais cela propose et fait véritablement entendre quelque chose qui rassemble. Camus ne juge pas, il n’y a rien de manichéiste chez lui. Il rapproche de nous ses personnages, nous fait pénétrer dans leur débat sur, notamment, la question de savoir si, en tuant un homme, on abat la dictature qu’il incarne. La réponse de Camus est non. Mais il salue néanmoins ces « grandes ombres » de l’histoire, selon ses propres mots. »

Cette pièce, insiste Mehdi Dehbi, expose des points de vue différents. « C’est cela qui est beau. On entend le peuple avec Foka, la religion avec la Grande Duchesse, l’État et la police avec Skouratov et, avec les membres de l’organisation, des voix révolutionnaires parfois divergentes. Dora, qui fabrique les bombes, est par exemple perdue en constatant que le peuple pour lequel ils se battent, se tait. Pense-t-il à nous et sait-il qu’on existe, nous qui nous sacrifions pour lui, se demande-t-elle. Kaliayev, au moment où il ne parvient pas à lancer la bombe, se rend compte que la terreur ne peut rien apporter, tout en se préparant à la mort. Stepan, lui, est détruit derrière son discours violent qui mène à cette terreur. Et dans le dernier acte, Dora se demande si ce n’est pas lui qui a raison. Les personnages font vraiment le tour de l’homme. »

« Il faut éviter d’opposer radicalement Kaliayev et Stepan, poursuit-il. Il existe des gens qui ont des existences difficiles et qui sont poussés à la destruction. Il est très simple, d’un point de vue occidental, dans notre confort, dans nos vies faciles, de les juger et de les condamner parce qu’ils tuent. Parlant des terroristes qu’il défendait, Jacques Vergès disait que la chose la plus humiliante pour un homme ce n’est pas de le tuer mais de marcher sur sa dignité. »

Distribution cosmopolite

Les Justes © Mehdi Dehbi© Mehdi Dehbi

En 2009, suite à un spectacle présenté à Paris, Terre sainte de Mohamed Kacimi, Mehdi Dehbi et la metteure en scène Sophie Akrich sont partis en voyage humanitaire à Gaza. « Je m’étais promis d’y revenir avec un projet théâtral, se souvient-il. Mais c’est devenu la Cisjordanie car il est compliqué d’entrer dans Gaza et le casting complètement palestinien a laissé à une distribution plus cosmopolite composée d’une Syrienne, d’une Jordano-Franco-Irakienne, de deux Palestiniens, l’un qui vit à Jérusalem, l’autre à Ramallah, et d’un Franco-marocain. »

Les Justes sera joué en arabe, seuls trois comédiens sur les cinq parlant français. « Monter la pièce en arabe n’était pas une volonté politique, précise le directeur d’acteurs (qui n’aime pas le terme de metteur en scène). D’ailleurs, à l’origine, je voulais le faire dans sa langue d’écriture mais je me suis aperçu que c’était impossible. » Les quatre personnages secondaires qui, dans le quatrième acte, rendent visite à Kaliayev dans sa cellule, ne seront pas interprétés par des personnes physiques, semble-t-il. Mais Mehdi Dehbi ne veut pas en dire plus pour laisser la surprise aux spectateurs.

Du 13 au 19 octobre 2013. Au Théâtre de Liège, Place du 20-Août, 4000 Liège
Rés. : 00 32 (0)4 342 00 00
http://www.theatredeliege.be

Michel Paquot
Octobre 2013

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Michel Paquot est journaliste indépendant.