L’écriture hiéroglyphique est une écriture composite, dont le fonctionnement est intimement enraciné dans la culture dont elle est le reflet. Elle s’articule fondamentalement autour de trois catégories de signes : des logogrammes qui renvoient à des mots du lexique, des phonogrammes plus ou moins complexes qui servent aussi à noter des mots du lexique, mais également tous les mots du système grammatical et enfin des déterminatifs qui expriment la catégorie sémantique à laquelle le mot peut être rattaché.
Depuis le fond des âges, les hiéroglyphes sont un objet de fascination. On peut trouver à cela plusieurs explications. Pour ma part, j’en retiendrai principalement trois.
Tout d’abord, l’écriture hiéroglyphique se rattache à la civilisation de l’Égypte ancienne, celle des Pharaons. Rendue accessible, dans un premier temps, à travers le prisme des écrivains grecs et latins, connue ensuite plus directement par les récits de voyageurs, la Vallée du Nil est devenue depuis un bon siècle une destination touristique de choix. En comparaison avec les autres civilisations orientales antiques (la Mésopotamie, le monde biblique ou phénicien, l’empire hittite), l’Égypte ancienne se distingue par la quantité et la qualité des monuments qui ont été préservés. Sur les temples, dans les tombes, mais aussi sur tous les objets conservés in situ ou dans les musées du monde, les hiéroglyphes s’étalent et s’offrent à la curiosité du visiteur.
Stèle de la 26e dynastieEnsuite, les hiéroglyphes fascinent pour eux-mêmes. La préservation de leur caractère iconique tout au long de leur histoire (tout le monde peut reconnaître, sans comprendre, ce qui est évoqué par les dessins : hommes, femmes, animaux, plantes, objets de la vie quotidienne, etc.), leur qualité esthétique indéniable (certains hiéroglyphes sont réalisés avec un grand luxe de détails et font parfois l’objet d’une polychromie raffinée) les mettent à part parmi toutes les écritures du monde.
Enfin, pendant plus de 2000 ans, en fait depuis l’arrivée des Grecs en Égypte jusqu’au déchiffrement en 1822, l’interprétation des hiéroglyphes fut fondée sur une approche exclusivement symbolique, ce qui ne manqua pas de nourrir abondamment des spéculations dans les cercles philosophiques d’abord, mais aussi alchimiques, ésotériques et occultistes. On en conserve des traces et des pratiques jusqu’à notre époque.
Dans l’imaginaire du public, écriture égyptienne et écriture hiéroglyphique se confondent. Comment pourrait-il en être autrement, dans la mesure où c’est la seule forme d’écriture à laquelle le profane a directement accès ? Toutefois, ceux qui ont eu l’occasion d’accorder un peu plus d’attention aux papyrus exposés dans les vitrines des musées auront peut-être remarqué des écritures différentes, plus cursives, où l’œil cherche en vain à repérer des signes devenus familiers. De fait, l’Égypte antique a connu dès l’apparition des premiers documents écrits deux grands types d’écriture : l’écriture hiéroglyphique (litt. des [caractères] sacrés sculptés) et l’écriture hiératique (litt. des [caractères] sacrés). Le premier type est utilisé pour toute forme d’affichage, au sens large : il s’agit de signes, parfois de très grand module, gravés dans la pierre (parfois peints sur paroi), qui se signalent immédiatement à l’attention par leur fort degré d’iconicité, parfois marqué par la présence de nombreux détails. Chaque signe fait l’objet d’un dessin isolé, séparé des autres signes. L’écriture hiéroglyphique peut être disposée en lignes ou en colonnes, et les signes peuvent être orientés vers la gauche ou vers la droite. L’écriture hiératique est la variante cursive de l’écriture hiéroglyphique. Les signes, tracés à l’encre avec un pinceau sur des papyrus ou des ostraca (des éclats de calcaire ou de poterie), ont un dessin simplifié, et peuvent, de surcroît être ligaturés. D’abord disposée en colonnes, l’écriture hiératique adopte définitivement la disposition en lignes après le Moyen Empire ; le sens de la lecture va de la droite vers la gauche. À partir du 8e s. av. J.-C., apparaît une nouvelle écriture cursive, toujours disposée en lignes avec un sens de lecture orienté vers la gauche : le démotique (litt. [écriture] du peuple, profane]), qui se présente comme une simplification de l’écriture hiératique. Cette dernière ne sort toutefois pas de l’usage. Elle sera dès lors majoritairement confinée à la rédaction de livres funéraires ou sacerdotaux, ce qui explique le nom qui lui fut donné par les Grecs. Enfin, à partir du 3e s. de notre ère, l’Égypte abandonne progressivement les écritures traditionnelles au profit du copte, un terme qui désigne tout à la fois une langue, une religion (encore vivante aujourd’hui en Égypte) et un type d’écriture (une adaptation de l’alphabet grec).
Ci-dessous : À gauche : codex copte - À droite : ostracon démotique