L’écriture hiéroglyphique

Pour le non-spécialiste, l’écriture hiéroglyphique apparaît d’abord comme impénétrable. D’un autre côté, les cartouches et amulettes modernes dans lesquels les touristes font inscrire leur prénom dans un pseudo-alphabet (p.ex. 1 pour Marc) pourraient laisser croire que les hiéroglyphes ne sont, après tout, pas si redoutables, et que, comme le proclame le scribe dans Les aventures d’Astérix, pour écrire il suffit de savoir dessiner. En d’autres termes, les hiéroglyphes ne poseraient qu’un problème de lecture. En réalité, il en va de l’écriture égyptienne comme du reste. De même qu’il ne suffit pas de connaître l’alphabet grec ou cyrillique pour comprendre un texte grec ou russe, de même l’écriture hiéroglyphique donne accès à une langue, l’égyptien, qui, comme toutes les langues, possède une grammaire et un vocabulaire.

Dans ce qui suit, je m’attacherai à donner une idée, correcte mais forcément sommaire, du système hiéroglyphique, de son fonctionnement. Que l’on ne s’y trompe pas ! Le lecteur ne sera pas davantage capable de déchiffrer une inscription, même simple, à la fin de cette présentation, puisque je laisserai prudemment de côté tout ce qui touche à la langue égyptienne.

Ce qui a longtemps gêné le déchiffrement des hiéroglyphes est la nature même de son fonctionnement. Il a fallu en effet réaliser qu’on se trouvait en présence d’une écriture composite : ni tout à fait idéographique ou syllabique ou alphabétique, mais un peu de tout cela à la fois. Pour reprendre les termes mêmes de Champollion dans sa célèbre Lettre à M. Dacier (1822), qui marque les débuts de l’ère moderne en égyptologie, « C’est un système complexe, une écriture tout à la fois figurative, symbolique et phonétique, dans un même texte, une même phrase, je dirais presque dans un même mot. »

Karnak - Mur d'enceinte -730
Karnak, mur d'enceinte

L’écriture hiéroglyphique s’articule fondamentalement autour de trois catégories de signes : des signes porteurs à la fois d’un sens et d’une réalisation phonologique (logogrammes), des signes qui n’ont qu’une valeur phonologique (phonogrammes) et des signes porteur de sens, mais dépourvus de dimension phonologique (classificateurs sémantiques). Si certains signes ont fait l’objet d’une spécialisation, un grand nombre d’entre eux est susceptible – en fonction de leur emplacement dans un mot – d’occuper tour à tour une des trois fonctions.

Les logogrammes (appelés aussi idéogrammes) représentent le plus souvent une entité du monde physique : un être humain (dans une grande variété d’attitudes), un animal, une plante, un édifice, une manifestation de la nature (soleil, lune, étoile), un objet manufacturé (ustensile quelconque, vêtement, bateau, …), ou encore une figure géométrique. Il est probable que ces signes ont pu, à l’origine, renvoyer à plusieurs mots appartenant à une même famille sémantique. Dans l’écriture hiéroglyphique en tant que système d’écriture, à un logogramme est associée une et, en principe, une seule représentation phonologique. En d’autres termes, un logogramme renvoie à un mot du lexique, et non à une idée vague qui pourrait correspondre à plusieurs mots ; le logogramme (ou signe-mot) se différencie en cela du pictogramme, lequel est souvent susceptible de plusieurs lectures et, de surcroît, dans une multitude de langues. Le système du code de la route en est une belle illustration. Ainsi en égyptien, le signe de la maison, dans sa fonction de logogramme (2), désigne le mot égyptien 3 (/per/), à l’exclusion de tout autre type de bâtiment. Le lien entre le signe et son référent linguistique peut être immédiat, comme dans le cas de la maison (vue en plan) ; c’est le cas de nombreux signes comme 4 (/seba/) « étoile »,  5 (/ka/) « taureau » ou encore  6 (/tep/)« tête ». Mais le lien peut être moins direct, faisant appel à toutes sortes de procédés rhétoriques : par exemple, le signe 7  sert à écrire le mot 8 (/sesh/) "scribe" (9) par référence à l’instrument par excellence de l’écriture qu’est la palette du scribe. De même, le signe des trois collines peut-il servir à écrire le mot  10 (/khaset/) « pays étrangers », parce que ceux-ci ont été originellement assimilés aux contrées montagneuses bordant la Vallée. Ou encore le signe de l’avant-corps du lion sert à écrire le mot  11 (/hat/) « la partie avant, l’avant, le début ».

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