Le dessin de presse au cœur de la rentrée académique

Le 25 septembre, l'Université de Liège déclarera cette nouvelle rentrée académique ouverte en remettant les insignes de Docteur honoris causa  à des personnalités ou collectifs défendant à différents égards le principe de la liberté d'expression et de l'information. Aux côtés du journalisme d'investigation et de l'Open Access, le dessin de presse sera révélé à travers la récompense de trois caricaturistes reconnus mais aussi à travers de nombreux  événements tels que l'exposition Traits libres , la projection documentaire Fini de rire et un débat en présence du réalisateur.

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Alors que dans certains pays la censure étatique fait toujours cruellement rage et que la liberté d'expression est plus que jamais réprimée et sévèrement sanctionnée, quelles sont les voies de résistance possibles ? Quels sont ces individus qui osent habiter les failles du système en dénonçant des réalités dérangeantes ? Et qu'en est-il des régimes démocratiques ? On a tendance à revendiquer une liberté d'expression totale à l'heure où les réseaux sociaux règnent en maîtres et où l'information se propage à une vitesse fulgurante grâce aux nouvelles technologies telles que les smartphones.  La censure ne subsiste t-elle pas pour autant de façon beaucoup plus ténue et moins limpide à travers une forme édulcorée telle que l'autocensure visant à se conformer au politiquement correct afin d'éviter les représailles sociales ? Autant d'interrogations sur la notion de liberté d'expression et d'information que l'Université de Liège a décidé de mettre à l'honneur à l'occasion de la rentrée académique de ce mercredi 25 septembre. 

finiderire-youtubeDans le cadre de la séance inaugurale, six insignes de docteur Honoris Causa seront remis dont trois à des caricaturistes et/ou dessinateurs de presse engagés à travers la pointe aiguisée de leur stylo dans une bataille pour la liberté de parole : Plantu, Kroll et Nadia Khiari. Trois personnalités fortes qui participeront également au débat suivant la projection de Fini de rire, le 24 septembre à 20h au cinéma le Sauvenière. Ce documentaire réalisé par Olivier Malvoisin offre une réelle vue panoramique du métier de caricaturiste aux quatre coins du globe mais surtout des prises de position qui en découlent.

Bande annonce (Youtube)

De l'Allemagne à Israël en passant par la France, l'Amérique, la Tunisie, la Belgique ou encore l'Algérie, tous les plus grands dessinateurs de presse y figurent avec en toile de fond, une seule et même question : « Quelles sont les limites à la liberté d'expression des caricaturistes à travers l'exécution de leurs dessins ? » Le point de départ de la démarche d'Olivier Malvoisin, qui s'est également avéré être l'essence même du documentaire, est une volonté de s'emparer du dessin de presse et de « le prendre comme on ouvrirait un livre d'histoire pour le sortir de l'actualité, du quotidien pour voir ce que l'on peut apprendre de notre époque, de nos propres limites, de nos propres censures. »

 

Usant de divers stratagèmes tels que l'humour et la dérision afin de pointer du doigt un tabou ou de mettre en évidence un fait symptomatique du fonctionnement d'une société, les caricaturistes se posent comme de véritables « baromètres de la liberté d'expression ». Ils peuvent figurativement s'apparenter à des jauges indiquant les frontières autorisées et tolérées par un pays ou une communauté donnée. Les émeutes provoquées par les caricatures du prophète Mahomet publiées par le journal danois Jyllands-Posten constituent l'exemple par excellence de la variation du seuil de tolérance à l'égard de la liberté de la presse d'une nation à l'autre. « On peut critiquer tout le monde mais dans une certaine mesure. Il y a des limites à ne pas franchir » comme l'explique le dessinateur de presse palestinien Khalil.

Engagés dans le même combat, les dessinateurs de presse sont néanmoins tous confrontés à des degrés divers de pressions extérieures selon le contexte dans lequel ils baignent. Alors que certains exercent leur métier sans trop de restrictions, d'autres mettent leurs vie en danger, comme Ali Ferzat dont les caricatures grinçantes du régime syrien et du président Bachar el-Assad lui ont valu les mains brisées. Il a été contraint de fuir la Syrie pour continuer à défendre ses idées et vit désormais au Koweit. Tous ont cependant dû à un moment ou à un autre s'autocensurer afin de s'aligner au mieux, à la bienséance et au pire, aux limites imposées.

L'exposition Traits libres organisée dans la lignée des événements de la rentrée académique vient renforcer ce dernier constat. En présentant plusieurs dizaines de caricatures qui ont dû être modifiées afin d'être publiées dans la presse belge ou encore des caricatures qui ne sont jamais parues en raison de leur caractère jugé trop extrême, les idées reçues d'une liberté d'expression contrôlée qui épargnerait la Belgique volent en éclats.

L'exposition qui se tiendra du 25 septembre au 4 octobre aux nouveaux amphithéâtres de l'Opéra comporte non seulement des dessins inédits perçus comme subversifs car ils explorent des facettes « sensibles » sur le plan politique, économique, social ou sexuel etc. mais également les commentaires de leurs auteurs. Pierre Kroll (Le Soir),  Nicolat Vadot (Le Vif L'express), Jacques Sondron (L'Avenir) et Cécile Bertrand (La Libre) livrent pour chacune de leurs productions les raisons pour lesquelles elles ont posé problème. Parfois grotesques ou vulgaires, souvent ingénieuses, incisives voire tranchantes, ces caricatures qui ont créé un malaise au sein des rédactions témoignent d'un franchissement de certaines valeurs aujourd'hui encore sujettes à caution même dans la société belge.    

Outre les dessins des quatre caricaturistes, l'exposition comprendra une dizaine de panneaux signés «Cartooning for Peace» présentant, de manière didactique, le travail des dessinateurs de presse à travers le monde et évoquant divers thèmes – liberté, censure, religions… Conçue par le dessinateur français Plantu,«Cartooning for Peace» est une initiative née le 16 octobre 2006 au siège de l'ONU à New York. Organisée par Kofi Annan, alors Secrétaire général de l'ONU, une conférence de deux jours réunit 12 des dessinateurs de presse les plus renommés au monde pour «désapprendre l'intolérance». Un mouvement est né ! L'objectif de «Cartooning for Peace / Dessins pour la paix» est de promouvoir une meilleure compréhension et un respect mutuel entre des populations de différentes croyances ou cultures, avec le dessin de presse comme moyen d’expression d’un langage universel. De nombreuses expositions de caricatures et rencontres ont été organisées dans ce cadre. 

 

Pour plus d'informations sur la séance de projection/débat Fini de rire, il est possible de consulter le site des Grignoux.

Marjorie Ranieri
Septembre 2013

crayongris2Marjorie Ranieri est diplômée d'un Master en Information et Communication à finalité spécialisée en médiation culturelle et métiers du livre. Elle prépare actuellement une thèse de doctorat sur la construction du sens de provocation en art contemporain.