S’il est bien une caractéristique essentielle à laquelle l’université peut prétendre, c’est que, outre le fait d’être un lieu de savoirs, c’est aussi et peut-être avant tout un espace de rencontres. Intellectuels mais aussi humains, ces échanges agissent sans cesse sur nous, étudiants, comme des empêcheurs de tourner en rond. Cependant, il persiste toujours un domaine avec lequel les échanges sont encore « timides ». En effet, longtemps vu comme une sorte d’ennemi juré, l’intellectuel, souvent incarné par le critique, n’a eu de cesse de confirmer sa position de persona non grata au sein du milieu artistique et plus particulièrement encore au théâtre. Aujourd’hui, par ailleurs, on remarque que comédiens et intellectuels semblent de plus en plus vouloir enterrer cette vieille hache de guerre poussiéreuse. C’est ainsi que durant une semaine, ils nous été permis à nous, universitaires, de jouer aux apprentis comédiens. Encadrés du Nimis Groupe, un collectif de sept acteurs issus de l’échange européen Prospero, nous sommes ainsi passés de nos bureaux au plateau. Le bilan : une expérience riche et inoubliable mais bien trop personnelle pour que sa description figure dans ces lignes. Néanmoins, cette rencontre a quand même soulevé en moi bon nombre d’interrogations plus « rationnelles », quant à elles.
L’une d’entre elles, et sans doute la moins évidente, est celle-ci : quelle légitimité avons-nous vraiment, nous universitaires, face à ce langage que nous ne pratiquons pas et que nous avons seulement appris dans des livres ? Une légitimité dont il a aussi été question tout au long de la semaine. En effet, c’est au travers de textes et de témoignages que les comédiens puis nous, avons pris réellement conscience du problème qu’est l’immigration. Par ailleurs, il ne s’agit une fois de plus que d’une collecte de mots car, et heureusement pour nous, nous n’avons pas eu à quitter notre pays pour pénétrer clandestinement dans un autre. Dès lors, comment et de quel droit porter à la scène une réalité qu’il est impossible vraiment de connaître à moins de l’avoir vécue ? Cette question, posée d’entrée de jeu par le Nimis Groupe vis à vis de leur démarche, c’est à présent toute ma critique d’universitaire qu’elle questionne. En effet, quelle légitimité avons nous, nous, « non acteurs », lorsque nous analysons et même parfois critiquons une représentation théâtrale ? Certes, nous sommes munis de cet outil « objectif » qu’est le savoir. Nous avons appris comme tout langage le nécessite le vocabulaire, la syntaxe et même l’histoire du théâtre. Toutefois, ce langage s’exprime au moyen d’une langue qui, elle, nous est étrangère. Nous comprenons le théâtre mais nous ne le parlons pas. Et même si, à force de représentations et d’analyses, nos traductions révèlent de plus en plus toutes les subtilités du langage scénique, elles n’en restent pas moins vides de vécu. Par ailleurs, n’est-ce pas là simplement la différence même entre l’amateurisme et le professionnalisme qui se dessine ? Dès lors, nous étudiants en arts du spectacle, que sommes-nous donc pour le théâtre si ce n’est des « amateurs éclairés » ?
De plus, tout ceci me mène directement à un second questionnement. Toute création théâtrale ne perd-elle pas un peu sa fonction primaire lorsqu’elle est passée au « moulinet de l’intellectualisation » ? S’il est certes intéressant de comprendre la démarche inhérente à toute création qu’elle soit théâtrale ou pas, est-il indispensable d’en analyser jusqu’à la moindre respiration, jusqu’au moindre mot ? Cette question soulève en moi un vrai paradoxe que cette immersion totale dans un univers artistique n’a pu que confirmer. Lors du colloque Propsero, un critique s’était décrit comme étant celui « qui était sans cesse le cul entre deux chaises ». Bien que ne s’honorant peut-être pas de la politesse de rigueur, cette position est, selon moi, celle dans laquelle se retrouve tout universitaire. Car, si nous sommes des étudiants desquels on attend une certaine faculté d’analyse et un certain discours critique, nous n’en restons pas moins des spectateurs et surtout des humains. De plus, la fonction première du théâtre n’est-elle pas d’offrir à ses spectateurs de vivre et ressentir des choses ? Tout ceci s’opère dès lors dans le seul lieu qui le permet de manière aussi directe et qui est la représentation, cet espace dans lequel acteurs et spectateurs communiquent chacun à leur manière. Le théâtre comme la musique sont des arts de l’instant, ouverts au hasard. Partant de cela, est-il nécessaire de chercher à tout comprendre, à tout analyser ? Et, inversement, lors d’une création artistique, tout signifie t-il toujours réellement quelque chose ? Et si le comédien avait juste choisi de dire ce mot parce qu’il évoque des choses en lui, et si le musicien avait juste choisi cet accord parce ses couleurs lui plaisent, et si… Nombreuses des choses ressenties au cours de cette semaine d’échanges sont restées sans explication, nous les avions vécues et ce langage intérieur, sans mot, se suffisait à lui-même. Face à tout cela, comment dès lors trouver un juste « équilibre », une place un peu moins inconfortable ?
Justine Kaulmann
Septembre 2013
Justine Kaulmann est étudiante en 1re Master en Arts du spectacle.