La littérature consacrée au métier de scripte et à son histoire se révèle relativement rare. Tout en esquissant un panorama de la fonction, la conférence s'est davantage construite sur la base du témoignage que dans une véritable perspective historique – pourtant amorcée en introduction. Il n'en demeure pas moins que la conférence s'est avérée d'un enrichissement incontestable. Les interventions de Sylvette Baudrot et Zoé Zurstrassen, ainsi que celles des trois jeunes scriptes invités, au delà de leur intérêt tantôt factuel tantôt délicieusement anecdotique, ont permis de mettre en lumière certains problèmes et enjeux directement liés à cette profession et à son évolution.
Sylvette Baudrot sur le tournage des Vikings, Richard Flesicher, 1958 © http://www.cinematheque.frSylvette Baudrot (née en 1928), sorte de figure tutélaire de cette rencontre, a partagé certaines anecdotes de quelques tournages fameux. Scripte de la première génération, œuvrant depuis soixante ans, avec à son actif un nombre de collaborations impressionnant, elle représentait dans le cadre de cette conférence l'emblème d'un fonctionnement traditionnel – et « papier » – de la profession. Ayant travaillé aux côtés de grands cinéastes (Alfred Hitchcock, Jacques Tati, Alain Resnais, Costa-Gavras ou encore Roman Polanski, pour ne citer qu'eux), elle a bien sûr donné un aperçu de ses relations professionnelles avec ceux-ci, mais elle a surtout décrit son rôle de scripte au sein de la réalisation de films de fiction.
Chargée essentiellement du préminutage et de la continuité du film, la scripte veille aussi à ce que soit respectée une certaine grammaire cinématographique. Le métier est loin de constituer une tâche aisée. Si son rôle consiste parfois à soutenir – voire materner – acteurs et réalisateurs, comme le laissait entrevoir Truffaut dans La Nuit américaine (1973), il relève surtout de la vigilance constante. Son œil attentif scrute le moindre détail qui est ensuite noté et mémorisé. La scripte est en quelque sorte la mémoire du film. Une mémoire d’un travail en cours, au moment de la réalisation du film, dans la mesure où ses retranscriptions vont permettre une certaine cohérence et une continuité du travail (notamment en termes de raccords) mais également une mémoire à plus long terme. La conférence, organisée au sein même de la cinémathèque, lieu de mémoire du film par excellence, le confirme : la scripte, par les témoignages et les documents de travail qu’elle est en mesure de partager, peut constituer une véritable mine d’or pour qui s’intéresse à l’histoire du septième art ou, plus spécifiquement, à l’évolution d’un film ou de certains métiers et techniques du cinéma. Les différents fonds d’archives conservés à la Bibliothèque du Film attestent également de cette dimension testimoniale1.
La prise de parole de Sylvette Baudrot était encadrée par Zoé Zurstrassen (née en 1944), habituée à collaborer notamment avec Bertrand Tavernier et Claire Denis. Formée au sein de la section « scripte-montage » de l’I.A.D. (Institut des Arts de Diffusion, Louvain-la-Neuve), elle enseigne aujourd’hui le métier de scripte à la Fémis (École Nationale Supérieure des Métiers de l'Image et du Son, Paris). Si elle a pu, elle aussi, rapporter quelques histoires de tournage, Zoé Zurstrassen est également revenue sur son parcours et sa propre méthode de travail. Prise entre deux générations et entre deux modes de fonctionnement, elle laisse une certaine place à l'utilisation de l'ordinateur bien qu'héritière d'une méthode plus traditionnelle sur support papier.
Les trois jeunes scriptes, quant à eux, se tournent progressivement vers les outils de leur époque et s'emparent des possibilités qu'offrent les nouvelles technologies. Si elle s'opère plus que volontiers, l'adoption de celles-ci ne s'effectue pas pour autant sans un œil critique. Bien que visiblement conquis par ces changements bénéfiques à plusieurs égards, les scriptes soulignent quelques bémols encore à déplorer mais qui devraient s'estomper voire disparaître au fur et à mesure de l'évolution de ces nouveautés technologiques. Leur intervention témoignait, quoi qu'il en soit, d'une certaine conscience des avantages et inconvénients d'une mutation en cours ainsi que d'une réflexion sur la transformation progressive de leurs instruments de travail. L'une des trois jeunes scriptes, Morgane Aubert, a d'ailleurs réalisé un travail de fin d'études consacré aux outils numériques à l'usage de la scripte.
Il s’est finalement dégagé de cette rencontre le sentiment d’un choc des générations. Un fonctionnement papier, « à l’ancienne », adopté et promulgué par Sylvette Baudrot (et dont la pratique de Zoé Zurstrassen est encore très proche) s’est vu confronté à une méthode numérisée et dématérialisée de la jeune génération. Si elle engendre une série de questionnements sur la problématique de la transmission de méthodes de travail et de la possibilité d’adapter ce savoir traditionnel aux nouvelles technologies, ainsi que sur les limites actuelles et à venir de celles-ci, la confrontation des différentes manières de procéder permet notamment de poser la question de la conservation mais aussi de la trace. Le mouvement de dématérialisation des supports, lié à l’introduction du numérique dans le champ cinématographique, touche également le document de travail de la scripte. La jeune génération se penche désormais sur les différentes possibilités de travail qu’offre l’utilisation de l’iPad et de ses différentes applications. Si cette voie en est encore à ses balbutiements, les trois jeunes gens y voient un potentiel indéniable. Des questions se posent désormais quant au devenir de cette trace papier traditionnelle, matérielle et physique, source pour le chercheur (ou autre fureteur) de connaissance, de compréhension mais aussi d’un certain plaisir face à ces documents rehaussés de dessins, polaroïds, ajouts, collages et autres notes manuscrites.
Lison Jousten
Septembre 2013
Lison Jousten est étudiante en Master Arts du spectacle.
1 À titre d'information : une exposition virtuelle consacrée au métier de scripte puisant largement dans le fonds Sylvette Baudrot est accessible sur le site de la Cinémathèque française. Outre une description détaillée de la fonction, elle comporte un certain nombre de documents originaux directement issus du fonds.