La participation théâtrale : une nouvelle manière de conscientiser le public

Convié pour une semaine au Théâtre de la place, le Collectif Nimis nous a donné l’opportunité de prendre part au travail qu’il a commencé, il y a deux ans, sur le thème de la migration. Nous avons pu prendre conscience des conséquences, bien souvent désastreuses, que celle-ci engendre pour les êtres qui sont contraints de s’embarquer dans des périples incertains et qui se voient réduits au statut de jouets fragiles, tantôt ballottés par les éléments naturels, tantôt soumis aux volontés qu’ils auront la chance ou la malchance de croiser.

Le cheminement du collectif a mené le groupe d’artistes à rencontrer des migrants qui ont « posé leur bagage » dans le centre ouvert de Bierset, mais aussi à s’impliquer dans des actions symboliques à Bruxelles afin de démontrer le caractère arbitraire et inhumain des « placements » en centres fermés et/ou ouverts. Ces différentes expériences étaient le cœur et la ligne d’horizon de notre parcours durant toute la semaine.

Si les migrants invités ont pu faire partager leur vécu, nous avons, nous, tenté de construire des propositions théâtrales nourries de leur présence et des conseils des membres du Nimis. Cet atelier, on le voit, dépassait les simples exercices d’échauffement de voix ou de travail de lecture, même si ceux-ci étaient nécessaires pour nous donner la force d’entrer en résonance avec la parole de ceux qui n’ont pas toujours l’occasion de s’exprimer sur la scène publique.

© David Botbol

1IMG 3826Différentes questions ont jalonné notre parcours comme des balises. Nécessaires, elles sont restées en suspension tout en offrant une perspective, un but pas toujours facile à atteindre. Qui sommes-nous, nous étudiants, que pouvons-nous apporter ? Bien vite, cette interrogation sur la légitimité de notre travail s’est présentée, d’autant plus que les membres du Collectif, impliqués dans le projet depuis deux ans, se la posaient aussi. Quelle est la légitimité du travail artistique d’êtres humains, certes sensibles à la détresse de l’autre, mais qui n’ont pas dû affronter les mêmes tempêtes de la vie et qui tentent malgré tout de porter des témoignages vers un plus grand nombre en faisant le pari de toucher et de faire changer les choses ?

La question demeure. Cet atelier n’était qu’une étape sur le chemin du projet porté par le Nimis. Elle restera présente certainement jusqu’à l’aboutissement du cheminement. On peut également se demander vers où l’aventure va mener les artistes, ce qu’il restera de tout ce travail. En effet, le projet est en cours et l’on ne peut qu’espérer avoir contribué, avec nos petits moyens, à un travail important qui dépasse les clivages politiques et les cadres d’un cours universitaire. Il est en effet difficile de prendre du recul quand on a été autant impliqué et sollicité pendant une semaine et que l’on a entendu, vu, lu et reçu autant de témoignages d’êtres en souffrance avec la circonstance aggravante qu’ils n’ont rien fait pour mériter leur sort, qu’ils ont juste la malchance d’être nés dans des pays sans avenir ou sans sécurité garantie pour vivre et s’épanouir.     

La méthode de travail du Collectif suppose un investissement à part égale de chacun de ses membres. Elle a sans aucun doute contribué à nous inclure fortement dans le processus de création et de réflexion. En ce sens, elle constitue le véritable apport et la forte originalité de ce stage. En effet, nous étions loin du regard du spectateur assis dans un siège, gardant à part soi ses pensées et sentiments ou même ses contradictions. Impossible de ne pas entrer de plain-pied dans le travail demandé, à l’image du migrant qui doit vivre cette folle odyssée pleinement. Mais, contrairement à lui, nous ne risquions pas notre vie.

IMG 3470Peut-on voir dans ce travail une nouvelle manière de conscientiser le public que nous étions aussi ? En effet, après avoir été à ce point touchés dans notre chair par ce type d’expérience, il est difficile de voir encore les choses de la même manière. L’écoute distante, même empathique, semble bien tiède et ces regards croisés, ces voix entendues font partie à présent de nous-mêmes. Bien plus qu’un grand jeu de rôle, ce cheminement repose la question des frontières entre l’art et la politique. Comment faire avancer une cause que l’on croit juste : avec qui, avec quels moyens, grâce à quelle méthode, au nom de quoi et avec quelle légitimité ? Toutes ces questions lancées implicitement nous ont portés durant cette semaine et continueront à résonner en nous. Pourrait-on envisager d’autres ateliers de ce type avec un autre public ? Quelles conséquences cela pourrait-il avoir ? Se sentirait-il impliqué comme nous ? Ces questions elles-mêmes sont-elles pertinentes ? Les interrogations subsistent.   

Plus légèrement, malgré le thème et grâce à la participation entière des étudiants et des  membres du Nimis, cet atelier fut l’occasion de vrais fous rires et de beaux moments  partagés ensemble. Le fil rouge solide tissé de l’implication et du souci de bien faire nous a permis de nous rapprocher et de créer à notre niveau d’apprenants des petits instants précieux. 

 Anne-Catherine Renier
Septembre 2013

crayongris2
Anne-Catherine Renier est étudiante en 2e année de Master en Arts du Spectacle.