Ce premier travail collectif construit pour l'instant sa dramaturgie en se questionnant sur les problèmes de migration européens, le statut des frontières qui entoure le continent, ou encore en enquêtant sur le statut et les interventions de Frontex1. Le sujet est vaste et complexe, un tel projet ne saurait être développé dans l'urgence, c'est pourquoi le travail dure depuis deux ans déjà, pourquoi les rencontres sont nécessaires afin de prendre de la distance sur son objet, de se confronter à d'autres regards sur le sujets. Plusieurs ateliers ont déjà eu lieu et d'autres sont prévus avant le mois d'août, d'autres rencontres. Les méthodes de recherche, multiples et diverses ont conduit les membres du NIMIS à rassembler une masse de documentation – discours politiques, critiques, films documentaires, ... – mais également à rencontrer certains migrants et à recueillir leurs discours.
Les témoignages sont denses, qu'il aient été recueillis en personne par les acteurs ou tirés de documents. Ils sont denses et intenses, parfois lourds, très personnels. On croise dans ces témoignages des moments d'horreur vécus par des personnes qui affrontent des situations extrêmement dures pour une chance de rejoindre l'Europe. À la lecture, ou l'écoute de ces paroles, une des problématiques principales du travail du NIMIS devient claire pour l'observateur. Comment prendre en charge ces propos et quelle théâtralité leur donner ? Comment, pour reprendre une phrase entendue pendant cette semaine, traduire de manière poétique un sujet politique ? Enfin, la question de la légitimité fut posée à plusieurs reprises. Qu'est-ce qui justifie le fait de récupérer des paroles de migrants, des témoignage pour ensuite les livrer sur scène ?
Par la mise en scène et la représentation, la dimension intime et personnelle des récits se transforme en formes partagées. Par conséquent, il convient de s'interroger sur la mise en récit/en scène de l'immigration en tant qu'espace de production, de représentation et de transmission de mémoire(s) de l'immigration.2
Un spectacle, en tant qu'il devient un espace de production de mémoire de l'immigration, peut se justifier par le simple fait d'interpeller sur un sujet méconnu, délaissé, exclu des principaux débats sociétaux qui animent les pays d'Europe. « L'acte de "raconter" participe à une représentation et à une compréhension du monde et devient le support de nombreux éclaircissements. »3 Le problème de l'immigration européenne peut être amené aux spectateurs, raconté dans toute sa complexité, dévoilé et ainsi se faire une place dans les esprits.
Les réflexions, liées aux choix de représentation des mémoires de l'immigration, se sont tout d'abord cristallisées autour d'un dépassement nécessaire des questions de « conscience ». Un spectacle vu comme une aumône, un acte de charité ou de pitié devient une croisade morale et ne peut se construire sainement. Le NIMIS a directement livré sa volonté d'éviter le pamphlet, d'adopter un ton ludique, de ne pas charger le spectacle de toutes les horreurs vécues par les migrants.
© David BotbolEnfin, quels sont les modes de transmission à adopter pour construire ce qui deviendra, quelle que soit sa forme, une mémoire de l'immigration ? Comment relayer les paroles de migrants en tant que jeunes Européens ? Un comédien peut-il les prendre à son compte, doit-on laisser la parole inchangée ou l'adapter au plateau, au projet ? Les migrants doivent-ils être eux-mêmes invités à venir livrer leur témoignage sur scène ? Ces questions, parmi les plus urgentes pour la construction d'un tel spectacle, sont mises à l'épreuve du plateau, la réflexion seule ne saurait y répondre. C'est en les posant à la scène que les réponses se trouvent.
Cependant, comme l’explique Olivier Neveux, « S’il met en scène l’expérience quotidienne […], il ne l’aborde pas dans la catégorie de l’intime » (Neveux, 2007 : 146) mais, au contraire, l’extirpe de la privatisation pour la rendre visible dans l’espace public collectif. Le théâtre de l’immigration est donc sous-tendu par une double logique : à la fois logique d’expression et d’apparition dont la première tâche est de faire surgir une parole minoritaire, écrasée par le poids des paroles dominantes. Il se place donc dans une posture de construction identitaire de l’immigration, de témoignage, de porte parole d’un discours en marge de l’histoire collective (...).4
Le projet du NIMIS groupe semble répondre à cette double logique. D'une part, apparition d'un sujet complexe qui doit être débattu. D'autre part, expression de témoignages, relais d'une réalité dure que le théâtre peut permettre d'installer dans des formes variées qui n'imposent pas le problème de manière accusatrice et frontale, proposent des visions ludiques et poétiques. Il s'agit bien de faire surgir une parole minoritaire, qui, dans sa nature même ne peut être que difficilement entendue en Europe puisqu'elle provient principalement de personnes bloquées à ses frontières ou enfermées lorsqu'elles les ont franchies.
La méthode de travail au plateau du NIMIS proposée aux étudiants a permis d'avancer modestement sur ces questions. Dans une logique de propositions libres, sur base des documents rassemblés au préalable et retravaillés au long de la semaine, chacun a pu faire part de ses impressions, des possibilité entrevues pour une transition de cette problématique et de ces paroles de migrants vers la scène. Cet atelier a eu pour résultats la production de propositions au plateau, un ensemble de textes personnels sur les questions abordées et les moments passés ensemble, mais surtout des rencontres autour de méthodes théâtrales et de sujets de société, des rencontres entre artistes et universitaires qui ont pu échanger leurs visions de la scène et de la manière dont un sujet aussi délicat et complexe que celui l'immigration européenne peut y être traité.
Romain Parizel
Septembre 2013
Romain Parizel est étudiant en 2e année de Master en Arts du Spectacle
1 Institution qui a pour objectif de promouvoir, coordonner et développer la gestion des frontières européennes, voir http://frontex.europa.eu/about-frontex/mission-and-tasks 2 Jeanne Le Gallic, « Théâtre et récits de l'immigration maghrébine : entre commémoration et transmission » in http://www.fabula.org/actualites/theatre-et-recits-de-l-immigration-maghrebine-entre-commemoration-et-transmission_41009.php 3 Id. Ibid. 4 Jeanne Le Gallic, « Le théâtre de l'immigration algérienne dans les années 1970 : un espace de représentation et de témoignage » in Synergies Algérie, n°10, 2010, Gerflint, pp.153-164.