La technologie 3D séduit les réalisateurs de documentaires

3dmediaLe  «3D Film Mart» est un événement liégeois organisé dans le cadre de la convention 3D Stereo Media, initiée par le Pr Jacques Verly et menée en collaboration avec l'ULg. Il  permet à des porteurs de projets cinématographiques en trois dimensions de trouver des financements internationaux. D'année en année, son succès indique que l'intérêt des réalisateurs et des producteurs pour le cinéma en 3D ne s'amoindrit pas. Mais lors de la dernière édition, la longue liste de projets avait une particularité :  le cinéma documentaire y était fortement représenté. Sur les 19 projets « pitchés », 14 étaient des films ou séries documentaires.

Pour comprendre cet engouement, nous avons parlé avec les réalisateurs et producteurs. Tous affirment que non seulement la 3D peut être utilisée pour le cinéma documentaire mais que, de plus, elle lui est particulièrement adaptée : les effets qu'elle permet rempliraient eux-mêmes une mission documentaire.

L'argument du réalisme

Yves Élie est là pour présenter le projet Le Pays où les abeilles ne meurent pas, documentaire sur l'abeille noire des Cévennes. La première question que le jury lui pose est sèche : « Pourquoi le faire en 3D ? ». Sa réponse est tout aussi brève : « Simplement parce que la nature n'est pas plate ! ». Le besoin de reproduire le relief naturel de la scène filmée pour être réaliste est l'argument le plus fréquemment avancé par les réalisateurs de documentaires en 3D qui ont défilé au «3D Film Mart». Ils considèrent d'ailleurs souvent le passage à la 3D comme une transition naturelle pour le documentaire plus que pour tout autre genre : cette nouvelle technologie leur permettrait d'être encore plus proches de la réalité, un résultat considéré – à tort ? – comme l'objectif même du documentaire.

L'équation n'est pourtant pas si simple. Jérémy Hamers, chercheur au Département des Arts et Sciences de la Communication de l'ULg l'explique : « On justifie souvent l'emploi de la 3D en évoquant une proximité avec la vision naturelle et donc un gain de réalisme. Or non, ce n'est évidemment pas plus réaliste dans l'absolu, comme il serait absurde de prétendre que la perspective est le mode de représentation le plus naturel et le plus réaliste avant la découverte de la stéréoscopie en optique. C'est le fruit d'un regard sur le regard, et plus particulièrement un regard occidental. Dans d'autres cultures, qui ont également une forte tradition de la représentation figurative, ce qui est considéré comme le plus proche de la réalité, se trouve à mille lieues de ce que nous appelons réalisme ». Tourner un documentaire sur une histoire considérée « naturellement en relief » en 3D n'est donc pas une obligation de réalisme, mais bien un choix de représentation du monde.

Le cas particulier du regard de Léonard De Vinci

La solution est-elle donc d'assumer que l'imagerie en trois dimensions est nécessairement révélatrice d'un regard ? C'est la voie dans laquelle s'est engagé François Bertrand. Il réalise actuellement une fiction documentaire retraçant une portion de la vie de Léonard De Vinci (Leonardo Da Vinci : a journey, a life). Avec la 3D, il souhaite reconstruire la manière dont cet artiste voyait le monde : « Venir en 3D sur Léonard, c'est démontrer sa perspective spatiale [...] Il avait une vision spatiale incroyable. La 3D va servir à voir à l'intérieur de son esprit, à voir le monde comme lui le voyait ». Il évite donc le raccourci de penser que la 3D est naturelle. En interview, il explique d'ailleurs qu'il a choisi cette technologie parce qu'il allait traiter De Vinci, mais qu'il n'y aurait pas nécessairement eu recours pour parler d'autres peintres.

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Mais en faisant ce choix, c'est à d'autres pièges qu'il devra être attentif. Laure Fagnart, historienne spécialiste de Léonard De Vinci, explique le travers à éviter : « Ma première réaction est de dire que c'est un peu étonnant de vouloir comparer une technologie contemporaine à des idées d'une personne du 15e, 16e siècle. En comparant deux choses si différentes, le risque d'anachronisme est énorme ». Dans l'esprit du réalisateur, il est en effet bien question de comparaison : « Une peinture comme la Joconde, les gens faisaient la queue pour la voir, c'était leur Avatar ».

Si elle se méfie de la démarche, l'historienne reconnaît tout de même : « C'est vrai que Léonard De Vinci s'intéresse vraiment au rendu volumétrique des êtres. C'est dans l'air du temps à l'époque ». Tout le défi consistera donc à évoquer la filiation entre la 3D et la vision spatiale de De Vinci sans pour autant tomber dans le piège de l'anachronisme. On ne peut cependant que saluer cette initiative qui ne fait pas qu'utiliser la 3D telle une obligation d'évolution technologique mais qui réfléchit sur le regard qu'elle suppose.


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