Sexuation ou sexisme ? Le cas de saint Nicolas et du Père Noël

La norme

jouets sexisme

Certains catalogues séparent les pages des jouets pour filles des jouets pour garçons en utilisant des enfants. Les représentants de chaque sexe jouent avec ce qui lui convient socioculturellement, les filles tiennent un aspirateur, font la cuisine sur un appareil miniature, jouent à la dînette, changent les poupées... et les garçons construisent une grue en mécano, jouent avec des voitures, se battent à l'épée ou conduisent un tracteur... « comme avant », c'est-à-dire avant les revendications égalitaires concernant la répartition des tâches, dans l'espace privé, tâches domestiques, entretien du foyer, occupation des bébés, pour les femmes et dans l'espace publique, construction, chantier, voitures, guerre, agriculture pour les hommes.

D'autres catalogues mettent en scène des enfants, sans différenciation sexuée évidente. Au fil des pages on voit soudain un petit garçon jouant avec une cuisinière ou une petite fille sur un vélo, les espaces privé et public semblent égaux, si ce n'est qu'il y a très peu de petits garçons (voire parfois un seul) dans l'espace privé et rarement des petites filles dans l'espace public. Le comportement majoritaire définit clairement la norme.

Pour d'autres catalogues encore, les enfants en scène ont peu d'importance, les pages colorées en rose pour les filles et en bleu pour les garçons facilitent le choix socialisant, prolongeant ainsi les couleurs rapportées dès la naissance. La différence est déjà plus subtilement marquée, l'égalité et la mixité n'est qu'apparente. Et même lorsque les espaces sont partagés, certains domaines restent la propriété première des garçons comme les éléments de chantier, les tracteurs et les motos et d'autres pour les filles comme les poupées, la machine pour le linge et les éléments pour la cuisine. Images proposées par les catalogues, auxquels participent bien sûr les producteurs, les marques, les concepteurs, les publicistes. La socialisation est bien lancée, le choix des enfants est sexué et dirigé dans son imaginaire.

Les promenades dans les rayons des magasins relèvent de la même construction, des affiches indiquent les tranches d'âge, mais aussi « garçons » et « filles », ou bien les murs, ou le sol, ou les étagères d'exposition sont roses ou bleues, délimitant l'espace de choix pour les garçons et celui pour les filles. D'autre part, la majorité des vendeurs renforcent également cette sexuation dans laquelle les enfants baignent sans cesse, en conseillant les parents hésitants sur le choix d'un jouet, et l'une des premières questions posées est « c'est pour un garçon ou pour une fille ? ». La classification est faite.

Parfois même ce sont saint Nicolas et le Père Noël eux-mêmes qui participent directement – malgré eux ? –  à cette sexuation, distribuant aux enfants qui viennent leur confier leur plus grand souhait de cadeau, une auto pour les garçons et une poupée pour les filles. Même lorsque (crise oblige) ils ne donnent plus qu'une promesse de cadeau et un petit sachet en plastique rempli d'articles publicitaires, on trouve dans certains magasins des sachets bleus et des sachets roses dont le contenu varie selon le sexe bien sûr, préparant sans doute ces enfants à devenir des étudiants de hautes écoles dont le sachet de bienvenue et d'information distribués aux nouveaux inscrits a longtemps différencié les filles et les garçons (pour des études mixtes et égalitaires).

Il est d'ailleurs étonnant que personne n'ait  encore commercialisé des assiettes de bonbons pour la Saint-Nicolas exclusivement bleus ou roses. Peut-être est-ce dû à la couleur naturelle des pommes, des oranges et  mandarines, ainsi que de tous les fruits, frais, secs et des gâteaux qui participaient traditionnellement à ces fêtes d'hiver.

Seuls les jeux de société sont réellement mixtes, et encore, les jeux dits de stratégie ou de guerre, batailles navales et camps romains regroupent majoritairement des garçons sur les présentations, quand ils ne sont pas tout simplement rangés dans les étagères masculines.

Les filles ont le droit de conduire, parfois, mais surtout des vélos roses à l'effigie de Barbie qui signe nombre de produits autres que la poupée et ses accessoires. Playmobil propose des scènes de la vie quotidienne, mais le pharaon est assis sur son trône et Néfertiti a disparu, le palais des merveilles avec son couple princier est blanc et rose et livré avec une couronne de princesse. Comment les garçons peuvent-ils apprendre à être le prince charmant si seules les filles y ont accès ?  Même Lego dont les briques sont asexuées propose des modèles de construction sexuée ou bien les suggestions sont suffisantes pour que les garçons et les filles fouillent dans des domaines différents. Et si on voit des petites filles jouer avec les boîtes de la série de la ferme, elles sont absentes lorsqu'il s'agit de la police.

Quant aux déguisements, chez les filles on est infirmière ou princesse en tout genre mais surtout en tout rose, légèrement tempérés cette année par Mega Mindy, en rose vif, la seule capable de rivaliser avec Spider Man chez les garçons (bleu avec masque et plastron rouges).

Les livres font la même chose, et dès les tout-petits, même si papa, ours ou humain, se trouve régulièrement en famille monoparentale, il est plus souvent dessiné conduisant son enfant à l'école ou lui lisant une histoire au moment du coucher que faisant la cuisine, un tablier autour de la taille ou remplissant la machine à laver, attitudes retrouvées au fil des pages des livres les plus anciens comme les plus modernes avec les femmes. Les sociétés nord-occidentales se représentent souvent libérées parce que les livres d'enfants parlent de la mort, du divorce et des couples homosexuels mais les illustrations mettant en scène les personnages dans la vie quotidienne conservent souvent une sexuation différentielle culturellement bien intégrée.

 

Modélisation sociale

Pourtant il y a de nombreuses héroïnes féminines, et Harry Potter existe parce que Hermione est là. La distance qu'il y a entre la réalité égalitaire, discutée, débattue et revendiquée reste grande, et semble même se re-marquer, dans les dernières années. Mode, vêtements, séries, clips video sexualisent garçons et filles de manière très différente.

Et si les filles ont droit à toute scolarité, peuvent obtenir le permis voiture, camion et même piloter un avion, si elles peuvent devenir ingénieurs, chefs de chantier, policiers, pompiers, maçons, plombiers, même si elles ont droit à un salaire égal pour un travail égal, la socialisation qui passe par les jouets, modélisation sociale importante, les replonge régulièrement dans des rôles et des fonctions secondaires, subalternes, domestiques ou très féminisées. De plus, même si les pères s'occupent des enfants ou vivent en famille monoparentales, les filles seulement sont sans cesse raccrochées aux bébés et aux enfants, les poupons leur mettant en tête qu'un jour elles seront mères. Au risque d'être méprisés pour efféminement, les garçons sont éloignés de tous ces rappels des tâches domestiques et poussés vers l'aventure, la guerre, la protection et la défense.

Lorsque des enfants, des jeunes ou des parents décident malgré tout de fonctionner selon des systèmes de choix réels qui pousseraient un enfant vers un jouet recensé pour l'autre sexe, le « Tu ne vas quand même pas lui offrir ça ! »  tant de fois entendu , expose l'enfant aux moqueries, à la non-reconnaissance de son milieu, de son groupe ou de ses pairs. Les «garçons manqués» en skate noir (les vraies filles ont éventuellement un rose avec les genouillères de la même couleur) et les garçons «efféminés» qui promènent un poupon en landau (presque toujours roses d'ailleurs) sont minoritaires bien qu'il y ait des femmes championnes du monde de skate bord, de surf, de snowbord et de planche à voile, bien qu'il y ait des hommes pédiatres,  baby-sitters, des pères seuls ou des couples homosexuels masculins.

st nicolas 1984
Visite de saint Nicolas à l'école en 1985. On remarquera qu'il a apporté des mini lessiveuses pour les petites filles

 

Les aides de saint Nicolas

Les jouets dont le rôle est d'apprendre à appréhender et gérer la réalité restent très souvent ancrés dans une sexuation traditionnelle qui est socialement inadaptée. Saint Nicolas et le Père Noël ne sont sans doute pas sexistes, mais leurs aides ont beaucoup de mal à quitter un imaginaire qui n'a plus lieu d'être. La sexuation est nécessaire mais la gendérisation ne peut en être dissociée. La structure sociale et la culture sont liées. Espace public et espace privé sont investis par les deux sexes, par obligation et/ou par décision. Le déterminant c'est le choix et le droit au choix.

 

Ô grand saint Nicolas, apportez-moi une vie en rose parce que n'exigeant qu'une ou deux heures de travail par jour et Père Noël n'oubliez pas mes 6 mois de vacances bleues comme les rêves, les mots et les oranges. 

 

 

 Chris Paulis
Novembre 2009

 

icone crayon
Chris Paulis est docteur en anthropologie de la communication. Ses cours et ses recherches à l'Université de Liège concernent principalement communication et genre,  interculturalité et  sexualité.    

Page : précédente 1 2 3