Saint Nicolas et Père Noël expliqués aux grands

Alors que ses trônes inondent déjà toutes les galeries commerciales, le Grand Saint et son don d'ubiquité est de retour. Et avec lui, revient tout le lot de questionnements des parents. Nous avons tenté de trouver quelques réponses en interrogeant Marcel Casteleyn, psychologue clinicien, chercheur et maître de conférence à la Faculté de Psychologie et des sciences de l'Éducation de l'ULg.

Souvent, les enfants ont envie de rencontrer Saint Nicolas mais dès qu'ils sont devant lui, ils sont pris d'une peur panique et veulent faire demi-tour. Pourquoi le Grand Saint effraie-t-il ?

saint Nicolas

Il n'est pas rare que l'on assiste, dans les magasins, à des scènes où les enfants sont terrifiés à l'idée de rencontrer Saint Nicolas. Alors qu'ils semblaient d'accord avec l'idée d'aller le saluer, ils se mettent soudain à hurler et à pleurer. Et souvent, ce qui me choque, c'est que cela semble amuser certains adultes.

Ce retournement de situation peut s'expliquer si l'on considère que ce n'est pas la chose elle-même qui provoque du plaisir ou de la peur, mais plutôt l'idée que l'enfant s'en fait ou même, l'idée que les parents s'en font. Ce n'est donc pas Saint Nicolas lui-même qui effraie les enfants mais plutôt l'idée qu'ils se font de lui, ce qu'il est dans leur imaginaire, ou, pour parler plus correctement, dans leur fantasmatique. D'un point de vue psychologique, il n'y a pas de difficulté à mettre en évidence le rapport que peuvent entretenir Saint Nicolas ou le Père Noël avec l'image du père.

Saint Nicolas n'a ni femme ni enfants... on pourrait donc peut-être le rapprocher plus facilement de l'image du grand-père, qui, dans l'esprit de l'enfant, est plus souvent considéré comme en dehors de toute rivalité. Dans le mythe, son rôle est de reconstituer ce qui a été morcelé et donc de recomposer les enfants coupés en morceaux par le boucher, qui, ici, incarne le versant mutilant du père. Par une condensation un peu rapide, on pourrait considérer ce père comme le «mauvais» père.

Alors, on pourrait se demander pourquoi un tel mythe a été inventé. Lorsque l'on étudie la représentation du père dans la psychologie de l'enfant, on remarque qu'à certains moments de son développement, l'enfant voit son père comme le plus fort du monde puis à d'autres, comme un ennemi dans sa relation avec la mère, l'un et l'autre pouvant d'ailleurs être contemporains. Au moment où il désire le plus faire disparaître son père, par crainte de représailles, l'enfant fait naître dans son esprit l'image d'un père méchant, mais ceci n'est qu'une phase normale du développement de la fantasmatique de l'enfant.

Si on revient au rapprochement entre l'image du père et les personnages de Saint Nicolas ou du Père Noël, on peut souligner que ces derniers distribuent des cadeaux de manière inconditionnelle, même si les enfants ont été méchants, même si à un moment donné de l'année écoulée, ils ont détesté leurs parents... Saint Nicolas sert à réparer la construction fantasmatique du père méchant. Il n'y a donc pas lieu de s'étonner de certaines frayeurs. Ainsi, si les parents instrumentalisent le Grand Saint, s'ils disent à l'enfant qu'il ne recevra pas de cadeaux... ils donnent corps au fantasme du père méchant, celui qui punit, qui menace. Cela peut n'être pas sans conséquences.

Faut-il utiliser Saint Nicolas pour inciter l'enfant à grandir (par exemple, profiter de cette période pour que l'enfant donne sa sucette à Saint Nicolas) ?

La question que je me pose en retour serait alors la suivante : pourquoi les parents veulent-ils forcer leur enfant à grandir ? L'enfant grandit, et il grandit d'autant mieux que le plaisir apporté par son évolution est plus grand que celui apporté par ce qu'il sait déjà faire. Être fort comme son père par exemple est plus gratifiant que de rester dans les jupes de sa mère.

Les parents qui sont dans le forçage essaient de réaliser leurs propres souhaits et font souvent en sorte d'avoir l'enfant qu'ils auraient voulu être. Malheureusement, dans ces cas-là, ce sont eux qui en paieront le prix à un moment ou à un autre, ou leur enfant, qui se trouvera dans une situation de détresse. Je pense qu'il ne faut pas utiliser Saint Nicolas dans ce but, l'enfant finira par lâcher seul sa sucette et s'il ne le fait pas, il faudra alors chercher ce qui l'empêche de le faire. En réalité, c'est une utilisation perverse du mythe : le «bon» père de la réalité a la charge de réparer un fantasme et il faut lui laisser ce rôle, ne pas l'instrumentaliser.

Cette question rejoint un peu la question de l'autorité qui ne doit pas être mutilante et dévoratrice, mais doit plutôt être vécue comme un principe protecteur. Elle est d'ailleurs en cela le précurseur du rapport que l'adulte entretient avec la loi. Celui qui, adulte, comprend que le feu rouge le pousse à s'arrêter pour sa propre sécurité a compris le principe protecteur de la loi et donc précédemment de l'autorité. Le but de l'autorité, c'est avant tout de structurer la psychologie de l'enfant. Si l'on utilise le chantage (si tu ne fais pas ça, Saint Nicolas ne viendra pas) comme outil éducatif, on aura droit plus tard à du chantage en retour (si tu ne me donnes pas d'argent, je ne rangerai pas ma chambre).

 

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