L'année 1995 marque les esprits. Pixar vient de produire Toy Story, intégralement en images de synthèse, révolutionnant le monde de l'animation. Neuf films plus tard et suite à la naissance, entre autres, de Nemo, Cars et Wall-E, les studios Disney Pixar nous offrent Up, un nouvel univers, toujours aussi fantaisiste, mais peut être encore plus touchant.
Des personnages hors du commun

Comme dans bon nombre d'aventures signées Disney, les vedettes de ce nouvel opus découvrent la vie, rencontrent l'amour, se heurtent à la vieillesse, puis à la mort. Ils regardent le temps s'écouler et vivent leurs rêves, franchissent des montagnes et se disent que l'aventure n'est jamais terminée... Pourtant, en concevant les protagonistes Carl Fredericksen, Russel, Doug et Kevin, les réalisateurs Pete Docter et Bob Peterson prennent des risques : un veuf ronchon à la septantaine bien accomplie, un petit boy-scout inépuisable de 9 ans, un chien qui parle, et un oiseau rare et bien trop grand du sud de l'Amérique ; bref, cette histoire est truffée de personnages inattendus. Depuis la mort de son épouse Ellie, Carl, inconsolable, a perdu tout désir d'aventure ; c'est grâce à Russell qu'il retrouvera espoir. Tandis que le septuagénaire finit sa vie, le petit louveteau débute la sienne, dans l'innocence de la jeunesse. Loin des archétypes des héros, ce choc des générations n'en est que plus émouvant. Russell, rondouillard et pot de colle, est exactement l'aventurier débordant d'énergie que Carl aurait rêvé d'être dans son enfance et qu'incarnait déjà Ellie. Ensemble, ils combleront l'absence d'un père pour l'un et le regret d'une complicité perdue pour l'autre.
Outre cette originalité, de par la stylisation voulue par les designers (Ralph Eggleston, Bryn Imagire, Harley Jessup, Daniel Lopez Munoz et Don Shank), le vieillard est transformé en un ensemble de deux carrés superposés (dont l'un plus gros pour la tête) et Russell prend la forme d'un œuf. C'est une des raisons pour lesquelles, comme le relatait le journal « The Guardian »1, les spécialistes financiers de Wall Street avaient estimé, dès avril 2009, que Là-haut serait le premier échec du studio d'animation de John Lasseter, conseillant même aux clients de vendre leurs actions Disney dans la peur d'un « accident industriel ». Néanmoins, malgré leur physionomie simpliste, d'une part, et leur personnalité inhabituelle, de l'autre, ces deux personnages ont ému au point de rivaliser, en termes de succès, avec Nemo. Contrariant les prévisions des analystes boursiers, le public est conquis.
Un chef d'œuvre technique ?
Up est le premier film d'animation de Pixar présenté en 3D. Cette technique permet au spectateur de reconstituer mentalement, en trois dimensions, l'image qu'il voit sur un écran plat. Pour ce faire, son cerveau utilise, notamment, la stéréopsie, principe relatif à sa capacité de voir la réalité depuis deux angles légèrement différents. L'ordinateur génère dès lors deux images distinctes de la scène à reproduire, distantes d'environ 6,5 centimètres, l'une étant destinée à l'œil gauche, l'autre à l'œil droit, donnant ainsi une impression de relief. La projection simultanée de ces deux représentations à l'écran l'oblige toutefois à porter des lunettes filtrantes (sans lesquelles il percevrait une image double).
Mais alors que DreamWorks, avec son Monstre contre Alien, s'approprie la 3D pour l'employer largement sans servir le scénario, Pixar transforme cette technologie en un atout pour son récit. Effectivement, le système en trois dimensions, tout en restant une prouesse technique, est utilisé sobrement et sans excès ; il est asservi au scénario et rend le film d'autant plus singulier. Selon les critiques lues dans la presse, certains spectateurs auraient été déçus par le « manque d'exploitation » du relief mais, contrairement à l'argument marketing du tout spectaculaire, il constitue une véritable valeur ajoutée qui nous donne tantôt le vertige au bord d'une falaise, tantôt des frissons d'émotion face au paysage naturel. Le relief ici employé instaure en quelque sorte deux espaces : un qui nous est proche et l'autre qui nous semble beaucoup plus lointain. L'une des scènes les plus significatives est celle où le couple formé par Ellie et Carl part tranquillement pique-niquer sur le haut d'une colline idyllique. Le spectateur se voit plongé dans leur univers romantique, tandis que la ville, en arrière plan, lui apparaît distante, semblant constituer un autre espace. Ainsi, par un effet de perception visuelle, le film en trois dimensions provoque un éloignement face à l'espace urbain et confirme donc son apport au scénario.
Prolongement du classicisme
La structure de Là-haut est loin d'être fantaisiste : une belle histoire d'amour, un incident chamboulant la tranquillité et le bonheur, une rencontre inopinée, une dose de magie, un « méchant », de l'aventure et une fin à pleurer. Ces ingrédients composent un mélange bien construit, tout en restant des plus traditionnels et accessible à tout public. Les premiers instants du récit retracent la vie d'Ellie et Carl. À l'instar de la scène du déjeuner dans Citizen Kane d'Orson Welles, cette « introduction » constitue une longue ellipse d'une dizaine de minutes marquant l'évolution d'un couple, de la rencontre au décès de l'un. Ces thèmes universels sont traités ici en seulement quelques plans, où seules les images et la musique de Michael Giacchino suffisent à dégager une émotion intense et vraie.
Toujours en regard du classicisme, mais aussi de cette scène introductive, ajoutons que la 3D ne fait que renforcer la touche classique du film. En effet, le système en trois dimensions provoque une adhésion bien plus forte du spectateur au récit, s'accompagnant donc d'une identification, d'une immersion.
Ce périple, conforme au modèle narratif classique bien que réunissant volatile coloré, chiens bavards, scout dodu et explorateur sénile, nous dévoile donc le talent de Disney Pixar à relever de nouveaux défis. Concentré depuis toujours sur l'émotion suscitée par le récit et par des personnages hors norme, il parvient à domestiquer cette prétendue nouvelle technologie qu'est la troisième dimension de manière très personnelle et sensible, à mille lieues d'une débauche de moyens formels. Ainsi, comme Fredericksen s'envolant, sa maison accrochée à une multitude de ballons, vers des horizons rêvés, les studios Disney Pixar décollent vers l'ère de l'imagerie du futur, tout en restant bien arrimés à leurs valeurs originelles.
Floriane Nyssen
Octobre 2009

1 http://www.guardian.co.uk/film/2009/apr/07/pixar-up-walt-disney-company