Le Falstaff de Shakespeare

Falstaff

Du 17 novembre au 1er décembre prochains, l'Opéra de Liège présentera l'ultime opéra de Verdi : Falstaff. Cette œuvre, dont le livret est principalement tiré des « Joyeuses Commères de Windsor » de William Shakespeare, met en scène les mésaventures du personnage de Falstaff, une sorte d'anti-héros obèse « immense voleur, buveur et mangeur mais aussi séducteur malheureux, humilié par ses proies potentielles», comme le décrit Michel Delville. 

Le personnage de Falstaff, bien que présent dans quatre pièces de Shakespeare, dont une partie importante  d'Henry IV, tient son rôle le plus mémorable dans les Joyeuses Commères de Windsor . Michel Delville résume l'intrigue de cette « Comedy of manners », inspirée, entre autres, par les modèles établis de la « comédie à l'italienne » :

« Sir John Falstaff est un personnage sans scrupule qui décide de courtiser deux femmes mariées, Dame Page et Dame Ford, deux bourgeoises de Windsor. Seulement voilà, son but n'est pas seulement d'assouvir ses appétits sexuels mais aussi de leur soutirer de l'argent. Il s'agit donc bien du chevalier déchu, abandonné par les faveurs et l'amitié du prince Hal (futur roi Henry V), et qui n'est plus que l'ombre de lui-même, tant et si bien que deux de ses propres pages l'abandonnent à leur tour pour servir d'autres maîtres.

Falstaff pousse le cynisme jusqu'à rédiger et envoyer la même lettre d'amour aux deux épouses... pour son malheur car elles n'auront de cesse, après avoir découvert la supercherie, de punir Falstaff, en usant de stratagèmes tout aussi pervers que leur victime désignée, tout en testant la confiance de leurs maris respectifs. Suivent une série de guet-apens, le premier culminera en une première scène d'humiliation suprême où Falstaff, transporté d'urgence hors de la demeure de Dame Ford à l'arrivée (prévue) de son mari, caché dans un panier de linge sale qui sera déversé dans la Tamise, « comme le rebut d'une boucherie ». Falstaff échappe de peu à la noyade, ayant de son propre aveu « une certaine propension à s'enfoncer » dans la fange !

Le second guet-apens intervient lorsque Dame Ford invite une nouvelle fois Falstaff et que ce dernier se voit contraint de se déguiser en vieille femme. Ford, qui le prend pour une sorcière, le bat et le chasse de la maison, le laissant « tellement battu [qu'il est] de toutes les couleurs de l'arc-en-ciel ». L'ultime humiliation de Falstaff a lieu dans la forêt de Windsor, où il se voit attaqué par des enfants déguisés en fées.

Le reste de l'intrigue gravite autour de la fille de Master et Mistress Page, qui est convoitée par trois prétendants : Slender, le choix de son père, le Dr Caius, le choix de sa mère, et enfin le jeune et beau Fenton, à la réputation douteuse mais qui, en définitive, l'aime véritablement et qui parvient finalement à l'épouser in extremis. »

Falstaff  Falstaff

 Affiche de l'Opéra de New Yok  (à G) - Adolf Schroedter : Falstaff und sein Page, 1867 (à D)

 

 

Michel Delville, comment voyez-vous Falstaff ?

Falstaff est un personnage complexe, avec une multiplicité de facettes et un côté paradoxal. Il est à la fois un guerrier couard, un magouilleur trompé, et le joyeux compagnon de beuverie et de fornication du prince Hal. Sa déchéance débute dès l'instant où le prince Hal prendra conscience de ses nouvelles responsabilités en tant que nouveau roi. C'est à partir de cet instant que la dimension tragique de Falstaff commence à émerger ...

 

Pantagruel

Falstaff présente plusieurs points communs avec le géant Gargantua. Quels sont-ils et en quoi Falstaff s'écarte-t-il du modèle rabelaisien ?

En effet, si l'on devait rapprocher Falstaff de personnages littéraires antérieurs aux pièces de Shakespeare, on serait tenté d'évoquer les géants de Rabelais qui, eux aussi, ont un penchant pour les tripes et le vin. De plus, Gargantua, le plus célèbre d'entre eux, représente un modèle outrancier et truculent qui, superficiellement, tendrait à se rapprocher de la personnalité turgescente de Falstaff tout en situant les deux personnages dans le registre de la « farce humaniste ». Un corps grotesque, une entité infiniment transformable et qui n'a pas de limite : cette description convient particulièrement bien aux deux personnages.

Falstaff s'écarte cependant du modèle rabelaisien en plusieurs points : alors que Gargantua apparaît comme un géant à la main bienfaisante qui prône l'ordre, la paix et la fécondité, et ce même s'il cause involontairement des dégâts, Falstaff n'a pour but que d''assouvir sa sensualité narcissique et surtout de semer le désordre autour de lui pour mieux tromper ses victimes.

Gustave Doré, Pantagruel


Est-ce une simple farce ou une critique de société ?

Bien que cette farce soit un divertissement assez conventionnel dans lequel la vertu doit triompher sur le vice, il y a une manière plus critique et plus subversive d'interpréter la pièce. On peut y lire par exemple une critique du mariage en tant qu'institution mais surtout en tant que transaction commerciale. 

Par ailleurs, même si le personnage de Falstaff trahit l'éthique chevaleresque et les idéaux les plus nobles, il apparaît clairement que la société dans laquelle il se meut ne vaut guère mieux que lui tant elle est obsédée par l'argent et le pouvoir.

 

Le Falstaff de Verdi n'est pas l'unique réécriture de l'œuvre de Shakespeare.

Je pense qu'on ne peut apprécier l'importance du personnage qu'au travers des réécritures (musicales, visuelles et littéraires). Elles ne sont pas nombreuses mais elles sont considérables dans leur singularité et leur intensité. Je veux citer par exemple de l'œuvre d'Orson Welles « Chimes at Midnight » (1965) qui mélange les différents avatars de Falstaff chez Shakespeare. Plus récemment, My Own Private Idaho (1991), de Gus van Sandt, qui lui aussi vaut le détour et surtout prouve que le personnage continue à fasciner nos contemporains.


 

Vincianne D'Anna
Octobre 2009

 

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Vincianne D'Anna est journaliste indépendante.